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Extraits de la décision de la CRA du 15 janvier 1999, M. M. et épouse, Bosnie-Herzégovine

[English Summary]

Art. 3 LAsi, art. 1 C, ch. 5, al. 2 Conv. : rupture du rapport de causalité temporel, cessation de la qualité de réfugié, raisons impérieuses.

  1. Le fait pour des Bosniaques, chassés d'une région conquise par les troupes serbes, d'avoir séjourné pendant plus de deux ans (de 1992 à 1994) en zone musulmane à l'abri des mesures d'épuration ethnique, interrompt le lien de causalité temporel entre une éventuelle persécution quasi-étatique précédemment subie et le départ du pays (consid. 4b).

  2. En cas de changement fondamental de circonstances dans son pays d'origine, l'intéressé doit établir qu'il remplissait, au moment de son arrivée en Suisse, toutes les conditions mises à l'octroi du statut de réfugié. Si tel n'est pas le cas, il ne saurait d'aucune manière se prévaloir de raisons impérieuses susceptibles de faire reconnaître sa qualité de réfugié (précision de jurisprudence, JICRA 1997 no 14, 1996 no 42, 1996 no 10, 1995 no 16, 1993 no 31) (consid. 4d).

Art. 3 AsylG, Art. 1 C Ziff. 5 Abs. 2 FK: Unterbrechung des zeitlichen Kausalzusammenhangs, Beendigung der Flüchtlingseigenschaft, zwingende Gründe.

  1. Die Tatsache, dass aus einer von den serbischen Truppen eroberten Region vertriebene bosnische Staatsangehörige sich mehr als zwei Jahre (von 1992 bis 1994) in einer muslimischen Zone aufgehalten haben und dort von ethnischen Säuberungen verschont geblieben sind, unterbricht den zeitlichen Kausalzusammenhang zwischen einer allfällig früher erlittenen quasistaatlichen Verfolgung und der Ausreise aus dem Heimatland (Erw. 4b).

  2. Im Falle grundlegender Veränderung der Situation im Heimatland muss die um Asyl ersuchende Person darlegen können, dass sie im Moment der Einreise in die Schweiz sämtliche Voraussetzungen zur Anerkennung der Flüchtlingseigenschaft erfüllt hatte. Sollte ihr dies 


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nicht gelingen, so kann sie sich nicht auf zwingende Gründe berufen, welche zur Anerkennung der Flüchtlingseigenschaft führen könnten, (Präzisierung der Rechtsprechung EMARK 1997 Nr. 14, 1996 Nr. 42, 1996 Nr. 10, 1995 Nr 16, 1993 Nr. 31) (Erw. 4d).

Art. 3 LAsi, art. 1 C n. 5 cpv. 2 Conv. : interruzione del nesso di causalità temporale, cessazione della qualità di rifugiato, motivi gravi.

  1. 1. Il fatto, per dei bosniaci esiliati da una regione conquistata dalle truppe serbe, d'avere soggiornato durante più di due anni (dal 1992 al 1994) in una zona musulmana al riparo da misure d'epurazione etnica, interrompe il nesso di causalità temporale tra l'eventuale persecuzione quasi-statale precedentemente subita e l'espatrio (consid. 4b).

  2. 2. In caso di cambiamento fondamentale della situazione nel Paese d'origine, l'interessato deve dimostrare che adempiva, al momento del suo arrivo in Svizzera, tutte le condizioni poste al riconoscimento della qualità di rifugiato. In caso contrario, non potrà prevalersi di motivi gravi alfine di vedersi riconosciuta la qualità di rifugiato (precisazione della giurisprudenza, GICRA 1997 n. 14, 1996 n. 42, 1996 n. 10, 1995 n. 16 e 1993 n. 31) (consid. 4d).

Résumé des faits :

Le 15 août 1994, M. et F. M., d'ethnie musulmane, ont déposé une demande d'asile au centre d'enregistrement pour requérants d'asile de Chiasso. Entendus audit centre les 18, 19 et 29 août 1994, ils ont déclaré en substance ce qui suit :

Le 21 avril 1992, les soldats serbes ont investi leur village de domicile sans rencontrer de résistance. Les intéressés ont été contraints de quitter immédiatement leur logement et d'abandonner leurs biens, et ont été séparés de leurs deux fils, qu'ils n'ont jamais revus depuis. Ils ont été conduits en camion, par l'armée serbe de Bosnie, jusqu'aux environs de Kladanj, ville alors sous contrôle de l'armée musulmane de Bosnie. De la ville de Kladanj, où ils ont séjourné quinze à vingt jours chez des parents du requérant, ils se sont rendus à Zivinice, où ils ont vécu jusqu'au 1er août 1994. Pendant cette 


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période, les intéressés ont vécu dans des conditions de survie et de sécurité précaires, s'approvisionnant au marché noir ou bénéficiant d'une aide humanitaire limitée, et subissant les bombardements de l'artillerie serbe positionnée à 15 km. En outre, en raison de son âge, le requérant n'a pas été à même de trouver un emploi rémunéré. Les intéressés ont également entrepris, depuis Zivinice, de retrouver la trace de leurs deux fils, et ont appris, qu'ils avaient été déportés et détenus dans le camp pour prisonniers de Susice, consécutivement à la prise de leur village par les Serbes. En juin 1992, grâce à une personne de contact serbe, le requérant est entré en communication téléphonique avec son fils Mn. Cette démarche a valu au requérant d'être interrogé par la police musulmane de Tuzla, qui l'a soupçonné d'avoir divulgué des "informations" aux Serbes. En septembre 1992, il a appris que ses fils se trouvaient dans le camp de Pelemis. Une information télévisée postérieure, diffusée sur une chaîne locale, a fait état de ce que les femmes et les enfants détenus au camp de Pelemis avaient été massacrés par les Serbes, et que l'on ignorait ce qu'il était advenu des prisonniers adultes de sexe masculin. Les requérants ont quitté leur pays le 1er août 1994, sans passeports, en raison de la guerre et des mauvaises conditions de vie y régnant. Ils ont voyagé à pied et en voiture à destination de la Suisse, via la Croatie, la Slovénie et l'Italie. Ils y sont entrés clandestinement, le 15 août 1994. Ils y ont retrouvé leur fille, titulaire d'une autorisation d'établissement.

Par décision du 10 janvier 1997, l'ODR a rejeté la demande d'asile au motif que les requérants n'avaient subi que des préjudices liés à une situation de guerre et qu'au surplus le changement de situation intervenu dans leur pays d'origine depuis leur départ permettait d'exiger d'eux qu'ils requissent la protection des autorités issues des Accords de paix de Dayton. En conséquence, les motifs d'asile invoqués ne relevaient pas de l'art. 3 LAsi.

Dans leur recours administratif du 11 février 1997, M. et F. M. ont conclu à l'annulation de la décision attaquée et à l'octroi de l'asile. Ils font grief à l'ODR d'avoir procédé à une appréciation juridique incorrecte de leurs motifs au regard de l'art. 3 LAsi et de la jurisprudence y afférente; l'ODR aurait dû reconnaître qu'ils avaient été personnellement touchés par la politique d'épuration ethnique entreprise par les autorités quasi-étatiques serbes à l'encontre des Bosniaques de religion musulmane, et que, partant, les préjudices décrits, soit notamment la spoliation de tous leurs biens, l'assassinat de nombreux membres de leur famille par l'armée serbe de Bosnie-Herzégovine, la disparition de leurs deux fils, de même que les conditions dans lesquelles ils ont vécu à Zivinice, constituaient des persécutions conformes à 


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l'art. 3 LAsi. En outre, dans la mesure où leur village d'origine était, au moment du dépôt du recours, toujours sous contrôle serbe, et où la situation demeurait tendue, on ne pouvait exiger de leur part qu'ils tentent d'obtenir protection de la part des autorités de leur pays. En tout état de cause, ils invoquent l'existence de "raisons impérieuses" rendant inexigible un retour en Bosnie-Herzégovine.

Le recours, en tant qu'il contestait le refus de l'asile, a été rejeté.

Extraits des considérants :

4. a) Selon la jurisprudence de la Commission, un contexte de guerre civile dans le pays d'origine n'est pas, en soi, un obstacle à la reconnaissance de la qualité de réfugié. Certes, ne peuvent pas être considérés comme des "sérieux préjudices", entrant dans la définition de la qualité de réfugié de l'art. 3 LAsi, des actes de guerre contre des combattants ou le fait pour un individu de s'être trouvé fortuitement dans une zone de combats et d'en subir les inévitables conséquences. En revanche, il est des circonstances où malgré la guerre civile ou à cause d'elle, certaines personnes identifiées selon des critères pertinents en matière d'asile, tels que la nationalité (l'ethnie), la race ou la religion, qui ne veulent ou ne peuvent offrir une résistance ou ne sont pas directement impliquées dans les hostilités, peuvent être reconnues réfugiées lorsque le risque qu'elles ont encouru est supérieur à l'ensemble de la population du pays. Le fait pour un individu d'être personnellement victime de mesures violentes d'épuration ethnique, telles qu'elles se sont produites en Bosnie-Herzégovine […] peut, selon les cas, conduire à la reconnaissance de sa qualité de réfugié (cf. sur la distinction entre préjudices de guerre et préjudices conformes à l'art. 3 LAsi: JICRA 1997 no 14, p. 114s. et 117s., consid. 4d, dd et 5b).

b) Comme indiqué dans l'état de faits ci-dessus, les intéressés ont été forcés de quitter leur domicile après la prise de la commune de V. par l'armée serbe le 21 avril 1992. Peut demeurer indécise la question qui consiste à déterminer si les événements subis par les intéressés (soit l'expulsion de leur logement, la spoliation de leurs biens et une déportation en territoire musulman) représentaient des actes de guerre concrétisant la conquête des territoires qui allaient former la nouvelle République serbe de Bosnie, ou si, au contraire, ils constituaient déjà de sérieux préjudices au sens de l'art. 3 LAsi, commis de manière ciblée, pour des raisons ethniques ou religieuses, par des agents quasi-


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étatiques. En effet, il y a lieu de retenir que les recourants, après avoir quitté leur domicile à V., ont vécu pendant plus de deux ans en zone musulmane, à l'abri des préjudices et des mesures d'épuration ethnique exercés par les troupes quasi-étatiques serbes à l'encontre des personnes d'ethnie musulmane dans les zones qu'elles contrôlaient. La ville de Zivinice était effectivement défendue par la nouvelle armée bosniaque, d'obédience musulmane. Aussi, la Commission ne peut admettre l'existence d'un lien de causalité temporel entre la survenance des événements précités remontant à 1992 et le départ de Bosnie intervenu en 1994, les premiers étant trop anciens pour pouvoir justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié […]. Il faut encore ajouter que les conditions de vie généralement difficiles que les recourants ont connu à Zivinice durant cette période, de même que les bombardements de l'artillerie serbe sur cette localité, doivent être considérés comme des préjudices de guerre, en soi non pertinents au sens de l'art. 3 LAsi, comme l'ODR l'a, à juste titre, retenu dans la décision attaquée.

c) Enfin, s'agissant des soupçons de collaboration avec les Serbes que la police de Tuzla a nourris à l'encontre du recourant, il ne ressort ni des déclarations de celui-ci, ni du recours – sommairement motivé sur ce point - que les autorités bosniaques auraient mis en œuvre des mesures préjudiciables d'une certaine intensité qui seraient à l'origine du départ des recourants. Il n'existe en outre aucun indice suffisant laissant accroire que les passeports nationaux dont ils ont demandé la délivrance leur auraient été refusés pour ce motif. Au vu de ce qui précède, les recourants n'ont pas établi qu'ils seraient victimes de sérieux préjudices de la part des autorités musulmanes bosniaques en cas de retour, autrement dit qu'ils pourraient se prévaloir de l'existence d'une crainte fondée de persécution conforme à l'art. 3 LAsi.

d) Les intéressés se prévalent encore de "raisons impérieuses" liées à leurs persécutions passées et citent à cette fin la jurisprudence de la Commission.

aa) La jurisprudence admet en effet qu'à titre exceptionnel une persécution passée permette la reconnaissance de la qualité de réfugié, en dépit de la disparition de tout danger de persécution, si des "raisons impérieuses" tenant à cette persécution rendent inexigible le retour de l'intéressé dans le pays persécuteur (art. 1 C, ch. 5 Conv.). Elle applique ainsi, pour des motifs d'ordre strictement humanitaire, l'exception d'une clause de cessation de la qualité de réfugié en matière non seulement de révocation du statut de réfugié, mais également de reconnaissance de la qualité de réfugié (JICRA 1993 no 31, consid. 10, p. 222s.). La formulation "raisons impérieuses tenant à des 


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persécutions antérieures" signifie en particulier que le réfugié (lors de l'examen de l'éventuelle révocation de son statut) ou le requérant d'asile (lors de l'examen de l'éventuelle reconnaissance de la qualité de réfugié) doit avoir fui son pays pour échapper à des formes atroces de persécution (JICRA 1995 no 16, p. 163, consid. 6c; HCR, Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, Genève, janvier 1992, chiffre 136, p. 34). En d'autres termes, la personne en question doit, au moment de son arrivée en Suisse, répondre à toutes les conditions mises à l'octroi de la qualité de réfugié pour pouvoir ultérieurement, malgré un éventuel changement de circonstances favorable dans le pays d'origine ou de provenance, être maintenu dans son statut ou l'obtenir. Elle doit en sus se prévaloir de difficultés sérieuses à se reconditionner psychologiquement en cas de retour au pays et en principe l'établir médicalement, la charge de la preuve lui appartenant (JICRA 1997 no 14, p. 121ss., consid. 6c, let. dd à gg).

bb) Comme la Commission de céans l'a retenu au consid. 4b, les intéressés ne pouvaient pas se prévaloir utilement de la qualité de réfugié au moment où ils sont arrivés en Suisse au motif que le lien de causalité entre les persécutions subies en 1992 et le départ du pays en 1994 avait été rompu; ils ont d'ailleurs eux-mêmes reconnu dans leurs déclarations avoir quitté Zivinice, leur lieu de refuge interne, et demandé la protection de la Suisse pour des raisons liées exclusivement à la guerre (manque de sécurité en raison des bombardements, restrictions et précarité en matière d'approvisionnement et de logement). Ils ne peuvent dès lors pas exciper aujourd'hui de "raisons impérieuses" pour obtenir la reconnaissance de la qualité de réfugié et donc l'asile en Suisse, en dépit du changement de circonstances intervenu en Bosnie-Herzégovine en raison des Accords de Dayton.

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