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Extraits de la décision de la CRA du 19 septembre 2003, D. P., Roumanie

Décision de principe : [1]

Art. 18 et 32ss LAsi : précision de la notion de persécution dans les cas de non-entrée en matière.

La notion de persécution, dans son acception large (JICRA 1999 n° 17), doit être revue dans un sens restrictif ; elle ne comprend que les préjudices, subis ou craints, émanant de l'être humain, à l'exclusion des autres empêchements à l'exécution du renvoi (modification de jurisprudence).

Grundsatzentscheid: [2]

Art. 18 und 32 ff. AsylG: Präzisierung des Verfolgungsbegriffs bei Nichteintretens-Tatbeständen.

Bei der Prüfung von "Hinweisen auf Verfolgung" ist zwar ein weiter Verfolgungsbegriff massgeblich (EMARK 1999 Nr. 17). Dieser weite Begriff der Verfolgung muss indessen insoweit eingeschränkt werden, als darunter nicht sämtliche Wegweisungsvollzugshindernisse fallen, sondern nur solche erlittene oder befürchtete Nachteile, welche von Menschenhand zugefügt werden (Änderung der Rechtsprechung).

Decisione di principio: [3]

Art. 18 nonché 32 e segg. LAsi: puntualizzazione della nozione di persecuzione nei casi di non entrata nel merito.

La nozione di persecuzione in senso lato (GICRA 1999 n. 17) va limitata ai pregiudizi imputabili all'agire umano. Ne sono pertanto esclusi gli altri ostacoli all'esecuzione dell'allontanamento (modifica della giurisprudenza).

 


[1]  Décision sur une question de principe selon l'art. 104 al. 3 LAsi en relation avec l'art. 10 al. 2 let. a et l'art. 11 al. 2 let. a et b OCRA.

[2]  Entscheid über eine Grundsatzfrage gemäss Art. 104 Abs. 3 AsylG i.V.m. Art. 10 Abs. 2 Bst. a und Art. 11 Abs. 2 Bst. a und b VOARK.

[3]  Decisione su questione di principio conformemente all'art. 104 cpv. 3 LAsi in relazione con l'art. 10 cpv. 2 lett. a e l'art. 11 cpv. 2 lett. a e b OCRA.


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Résumé des faits :

D. P., de nationalité roumaine, a déposé une demande d'asile, le 6 octobre 2000. Elle a déclaré qu'elle était venue en Suisse dans l'espoir d'obtenir la guérison de son fils S. J. atteint dès sa naissance d'une forme d'épilepsie grave, d'un handicap mental et de troubles visuels. Elle a précisé qu'elle avait tout entrepris, en Roumanie, avec son mari I.P., pour venir à bout de la maladie de leur fils, mais en vain. La consultation de spécialistes et les traitements auraient épuisé leurs ressources financières. Par décision du 30 novembre 2000, l'ODR a refusé d'entrer en matière sur la demande d'asile de D. P.. Après avoir constaté que la Roumanie faisait partie des pays considérés par le Conseil fédéral comme libres de persécution (safe country), il a estimé que le dossier en cause ne révélait pas d'indice de persécution. En conséquence de quoi, il a prononcé le renvoi de Suisse de la requérante et de son enfant ainsi que l'exécution immédiate de cette mesure ; il a considéré en particulier que l'exécution du renvoi était raisonnablement exigible nonobstant l'état de santé de l'enfant. Le 4 janvier 2001, D. P. a recouru contre cette décision.

Le 4 avril 2001, I. P. a déposé, à son tour, une demande d'asile. Il a déclaré qu'il était venu en Suisse pour rejoindre son épouse D. P. et leur enfant S.. Il a confirmé que les problèmes de santé de l'enfant étaient l'unique motif de sa demande d'asile et de celle de sa femme. Le 27 avril 2001, l'ODR a rendu une décision identique à celle qui avait été rendue à l'endroit de son épouse et leur fils. I.P. a recouru contre cette décision.

La Commission a rejeté les recours de la famille P. en tant qu'ils contestaient les décisions de non-entrées en matière sur les demandes d'asile. Elle les a admis, en revanche, en tant qu'ils portaient sur l'exécution du renvoi.

Considérant en droit :

3. a) Est considérée comme une demande d'asile toute manifestation de volonté par laquelle une personne demande à la Suisse de la protéger contre des persécutions (art. 18 LAsi).

b) Conformément à l'art. 34 LAsi, le Conseil fédéral peut désigner les Etats dans lesquels il n'y a, selon ses constatations, pas de persécutions ; il revoit périodiquement les décisions qu'il prend sur ce point (al. 1). Si le requérant vient de l'un de ces Etats, il n'est pas entré en matière sur sa demande ou son recours, à moins qu'il existe des indices de persécution (al. 2).


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4. a) Telle que consacrée par la jurisprudence actuelle de la Commission, la notion de persécution contenue à l'art. 34 al. 2 LAsi correspond à celle de l'art. 18 LAsi et doit être interprétée dans un sens large : elle comprend non seulement les sérieux préjudices déterminants pour la reconnaissance de la qualité de réfugié au sens de l'art. 3 LAsi, mais également les obstacles (illicéité, inexigibilité et impossibilité) à l'exécution du renvoi prévus aux art. 44 al. 2 LAsi et 14a al. 2 à 4 LSEE, en particulier les mauvais traitements visés par les art. 3 CEDH et 3 Conv. torture, ainsi que les motifs qui relèvent de l'asile accordé aux familles selon l'art. 51 LAsi (cf. notamment  JICRA 2002 n° 20 consid. 5b aa p. 167 ; JICRA 2002 n° 5 consid. 4a p. 41 et références citées, en particulier décision de principe publiée dans JICRA 1993 n° 17 consid. 3b p. 113s. ; ASYL 4/00 p. 21, 3/01 p. 32, 3/99 p. 6).

b) La doctrine dominante interprète de la même manière la notion de persécution au sens large. Selon W. Kälin (Grundriss des Asylverfahrens, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1990, p. 260) l'interprétation large qu'il convient de donner à cette notion signifie, par exemple, qu'il y aura lieu de considérer comme une demande d'asile celle par laquelle le requérant n'invoque pas de crainte de persécution pour des motifs politiques, mais expose uniquement qu'il redoute les conséquences néfastes d'une guerre civile (cf. également Kälin/Stöckli, La nouvelle procédure d'asile, in : W. Kälin [éd.], Droit des Réfugiés, Enseignement de 3e cycle de droit 1990, Fribourg 1991, p. 54). Kälin précise, s'agissant des motifs légaux de non-entrée en matière, que la notion de persécution utilisée dans ce contexte s'entend dans un sens large et comprend, outre la persécution selon l'art. 1A al. 2 Conv., les mauvais traitements visés à l'art. 3 CEDH et la mise en danger concrète selon l'art. 14a al. 4 LSEE (cf. Nichteintreten auf Asylgesuche bei fehlenden Ausweispapieren oder illegalem Aufenthalt in : ASYL 1998/2 p. 27).

Alberto Achermann et Christina Hausammann partagent le même point de vue en ces termes : "Es ist also auch auf Gesuche einzutreten, in denen vorgebracht wird, wegen der allgemeinen Bürgerkriegssituation geflohen zu sein…Allgemein fallen alle Vorbringen darunter, die die Wegweisung als unzulässig (z.B. Art. 3 EMRK), als unmöglich oder als unzumutbar im Sinne von Art. 14a ANAG erscheinen lassen" (cf. Handbuch des Asylrechts, 2e éd., Berne/Stuttgart 1991, p. 293). Roland Bersier se limite à dire, dans le même sens, qu'il y a lieu d'interpréter largement la notion de persécution pour déterminer si une démarche constitue une demande d'asile (cf. Droit d'asile et statut du réfugié en Suisse, édité par le CSP et l'OSAR, Lausanne 1991, p. 75, ch. 157). Des ouvrages plus récents mentionnent également que la notion de persécution de l'art. 18 LAsi est à comprendre "in a broad sense, general violence and other forms of jeopardy included" (cf. W. Stöckli in : Asylum Practice and Procedure,


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Country-by-Country Handbook, Edimbourg 1999, p. 160) et qu'elle désigne non seulement les événements qui conduisent à la reconnaissance de la qualité de réfugié, mais également les obstacles à l'exécution du renvoi, qui comprennent les cas d'illicéité (art. 3 CEDH et 3 Conv. torture) et d'inexigibilité du renvoi (cf. C. Cotting-Schalch, Les procédures urgentes prévues par la loi du 26 juin 1998 sur l'asile, in : La Suisse et la protection internationale des réfugiés, Kluwer Law International, La Haye/Londres/New York 2002, p. 150), en particulier les situations de guerre, de guerre civile, de violence généralisée, les risques de violations graves des droits de l'homme (cf. N. Wisard, Les renvois et leur exécution en droit des étrangers et en droit d'asile, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1997, p. 361 et références citées ; J. Schertenleib, Die neuen Nichteintretensgründe in : ASYL 3/99 p. 6, 9, 11 et 12 ; du même auteur, L'arrêté fédéral sur les mesures d'urgence dans le domaine de l'asile et des étrangers du 26 juin 1998 [AMU], Commentaire de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés, Berne 1999 p. 13 et 27), ainsi que la demande d'asile familial et la requête de protection provisoire (cf. M. Gattiker, La procédure d'asile et de renvoi, édité par l'OSAR, Berne 1999, p. 20 et 44 i.f. ; M. S. Nguyen, Droit public des étrangers, Berne 2003, p. 519s. et 534).

c) Il ressort de ce qui précède que tant la jurisprudence actuelle de la Commission que la doctrine intègrent dans la notion de persécution au sens large, généralement en bloc, tous les empêchements à l'exécution du renvoi prévus aux art. 44 al. 2 LAsi et 14a al. 2 à 4 LSEE, sans distinction ni exception. Force est de constater toutefois qu'en pratique, lorsqu'elles illustrent leur point de vue à l'aide d'exemples, elles se réfèrent à des préjudices causés de manière volontaire par l'homme (cf. consid. 4b ci-dessus et notamment  JICRA 1993 n° 16 consid. 6 p. 105 : "verhaftet und geschlagen beziehungsweise sogar gefoltert" ; JICRA 1993 n° 17 consid. 3b p. 113s. : "Befürchtungen, welche allenfalls nur unter den Aspekten von Artikel 3 EMRK oder Artikel 14 a ANAG materiell von Bedeutung sind [also insb. menschenrechtswidrige Behandlung, private Verfolgung, Bürgerkriegsgefahr"]), et non pas à des dommages qui résultent de circonstances indépendantes de sa volonté.

 d) Cette conception de la notion de persécution au sens large a fait l'objet de critiques.

Selon Walter Lang et Walter Stöckli, la jurisprudence de la Commission est trop extensive. Elle aurait dû exclure de la définition les cas d'impossibilité de l'exécution du renvoi, les cas d'inexigibilité du renvoi en raison de catastrophes naturelles (sécheresse, inondations) ou pour des motifs liés à la personne du requérant (état de santé, âge), et enfin les éléments déterminants pour l'examen d'un cas de détresse personnelle grave. Seuls devraient entrer dans la définition de la


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persécution au sens large les préjudices émanant directement ou indirectement de l'homme, soit les sérieux préjudices au sens de l'art. 3 LAsi, les risques de violation des droits humains et les situations de guerre, de guerre civile, de violence généralisée ou de violence menaçant un individu en particulier (cf. W. Lang, Das Flughafenverfahren, in : ASYL 3/00 ch. 9.2 p. 12 ; W. Stöckli, Asyl, in : Uebersax/Münch/Geiser/Arnold [éd.], Handbücher für die Anwaltspraxis, vol. VIII : Ausländerrecht, Bâle/Genève/Munich 2002, n° 8.95, p. 356).

La pratique de l'ODR ne semble pas non plus entièrement en accord avec la jurisprudence actuelle de la Commission. Preuve en est que, lorsque cet office se prononce sur l'existence ou non d'indices de persécution dans ses décisions de non-entrée en matière sur une demande d'asile, la motivation relative à l'illicéité, l'inexigibilité et l'impossibilité de l'exécution du renvoi ne fait pas partie intégrante de celle sur les indices de persécution mais figure, comme pour les décisions de rejet d'une demande d'asile, dans la deuxième partie de la décision consacrée aux questions relatives à l'exécution du renvoi. Ainsi, dans le cas d'espèce, alors que les seuls motifs invoqués par les recourants à l'appui de leurs demandes d'asile sont des motifs médicaux susceptibles d'empêcher l'exécution du renvoi de Suisse pour inexigibilité au sens des art. 44 al. 2 LAsi et 14a al. 4 LSEE, l'ODR ne les a pas considérés comme un élément entrant dans la notion de persécution au sens large mais les a écartés dans la partie de sa décision touchant à l'exécution du renvoi.

e) Au vu de ce qui précède, il importe d'examiner si et, dans l'affirmative, pour quelles raisons la jurisprudence actuelle de la Commission doit être revue dans un sens restrictif. Cela se justifie d'autant plus que jusqu'à présent, celle-ci s'est contentée d'énumérer les éléments qui entrent dans la notion de persécution au sens large sans exposer précisément pourquoi et selon quels critères elle a opéré son choix. Un examen de cette question s'avère également souhaitable en raison de la portée pratique relativement importante de cette notion. En effet, on ne la trouve pas qu'aux art. 18 (en relation avec l'art. 32 al. 1) et 34 al. 2 LAsi, mais également dans d'autres cas de non-entrée en matière (cf. art. 32 al. 2 let. a et d, 33 et 35 LAsi) ainsi que dans les procédures à l'aéroport (cf. art. 23 al. 3 LAsi) ou en cas de levée de la protection provisoire (cf. art. 76 al. 3 LAsi). Enfin, la Commission se doit de confirmer ou de modifier sa pratique, dès lors qu'en l'espèce, les recourants font grief à l'autorité de première instance de n'être pas entré en matière sur leurs demandes d'asile. Un examen matériel de celles-ci s'imposait, à leur avis, car les problèmes médicaux que connaît leur fils et qui sont l'unique raison pour laquelle ils ont demandé l'asile, entrent dans la définition de la persécution au sens large qui comprend, selon la jurisprudence actuelle, les obstacles à l'exécution du renvoi.


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5. a) Le terme de persécution utilisé dans la loi sur l'asile est une notion juridique imprécise qui, comme cela a été relevé ci-dessus (cf. consid. 4a), a déjà été interprétée par la Commission. L'interprétation qui en a été donnée, dans la mesure où elle pose comme principe que cette notion doit être comprise dans un sens large, n'est pas contestée et n'a pas non plus à être remise en cause. Ce qu'il convient, en revanche, de préciser, c'est  le contenu véritable, voulu par le législateur, de la notion de persécution au sens large, car c'est cela qui fait difficulté et qui est critiqué. Pour ce faire, la Commission, à l'instar du Tribunal fédéral, ne va pas privilégier une méthode d'interprétation par rapport à une autre, mais va interpréter la loi selon sa lettre, son esprit et son but, en prenant pour repère la ratio legis qu'elle aura soin de déterminer à la lumière des intentions du législateur (cf. JICRA 2001 n° 20 consid. 3a p.151s. et 1996 n° 18 consid. 5c p. 174s.).

b) La persécution (qui vient du terme latin "persequi" qui signifie poursuivre) est communément définie comme un traitement injuste et cruel infligé avec acharnement (Le Petit Robert, éd. 2003) ou comme l'action d'opprimer par des mesures tyranniques et cruelles (Le Petit Larousse, éd. 2003). Elle suppose nécessairement un auteur (le persécuteur), une victime (le persécuté) et un acte (la persécution). N'entrent pas dans cette définition les dommages qui résultent de circonstances indépendantes du comportement de l'homme, ou mieux, de sa volonté. Il s'agit de déterminer si cette conception, fondée sur le sens commun du mot persécution, correspond à celle du législateur.

Dans la loi sur l'asile, le terme "persécution" (en allemand "Verfolgung", en italien "persecuzione") n'a pas été choisi au hasard. Ainsi, selon son texte, l'art. 18 LAsi ne vise pas toutes les demandes de protection déposées par des étrangers, mais uniquement celles qui émanent de personnes qui expriment leur volonté de demander à la Suisse une protection contre des "persécutions". La persécution constitue une condition nécessaire pour qu'une demande de protection soit considérée comme une demande d'asile. Les requêtes qui sont déposées pour une autre raison ne satisfont pas aux conditions de l'art. 18 LAsi et font l'objet d'une décision de non-entrée en matière (cf. art. 32 al. 1 LAsi). D'un point de vue grammatical, le mot "persécution" sous-tend l'idée que le préjudice subi ou craint a été causé à dessein par une personne, un groupe de personnes ou une autorité, et non par un événement naturel comme un cas de force majeur, qui surviendrait de l'extérieur sans intervention humaine (catastrophes naturelles, famine consécutive à une longue période de sécheresse extrême, etc.). Le mot "persécution" est également incompatible avec l'hypothèse du cas fortuit. On pense aux cas d'impossibilité objective de quitter la Suisse ou d'être renvoyé au sens de l'art. 14a al. 2 LSEE (cf. JICRA 2000 n° 16 consid. 7c p. 146s. et jurisp. cit.), en particulier à l'impossibilité de transport d'un requérant d'asile débouté


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vers son Etat d'origine parce que les frontières et les aéroports sont fermés (cf. Nguyen, op. cit., p. 468) ou à l'impossibilité, pour les autorités suisses, d'obtenir les documents nécessaires au refoulement d'une telle personne. Cette dernière impossibilité ne doit pas être confondue avec le refus délibéré des autorités d'un pays, à titre discriminatoire, de délivrer des papiers d'identité à certains de ses nationaux ; une telle mesure pourrait, suivant les cas, constituer une persécution (cf. à titre comparatif Dictionnaire Permanent Droit des Etrangers, Paris, feuillets 13 [1er décembre 1999], p. 1720 n° 88 : "Des mesures discriminatoires (…) peuvent être considérées comme des persécutions (…) De même en est-il d'un refus discriminatoire de délivrance de document d'identité, lorsque ce refus est fondé sur l'un des motifs de l'article 1 A, 2 de la convention de Genève…"). Comme le terme "persécution" suppose que le résultat dommageable soit le fait d'un tiers, cela exclut les cas de maladies, sous réserve des refus discriminatoires de soins médicaux (cf. ibidem et consid. 5d ci-dessous), les menaces de suicide ou de mutilation, ainsi que les demandes de protection uniquement fondées sur la situation personnelle du demandeur d'asile. En d'autres termes, en l'absence d'un agent de persécution, les préjudices résultant de l'âge (le seul fait d'être mineur, par exemple), du sexe (la situation de femme seule), de l'absence de réseau social ou familial dans le pays d'origine, ou de la bonne intégration de l'étranger dans le pays d'accueil au sens de l'art. 44 al. 4 LAsi, ne constituent pas des persécutions au sens large.

Entrent, en revanche, dans la notion de persécution au sens large, à côté des sérieux préjudices visés à l'art. 3 LAsi, les tortures et les traitements inhumains et dégradants dans le pays d'origine ou de dernière résidence de l'intéressé, au sens des art. 3 CEDH et 3 Conv. torture, les situations de guerre, de guerre civile et de violence généralisée, qui supposent l'intervention de l'homme. Il n'est pas nécessaire que l'agent de persécution veuille atteindre le requérant d'asile personnellement. D'autres dangers imminents, comme celui d'être tué, par exemple en cas de vendetta, d'être condamné à mort en cas de retour d'un étranger dans son pays (cf. JICRA 2000 n° 26 p. 225ss), d'être soumis à l'esclavage ou d'être astreint à accomplir un travail forcé (cf. art. 4 CEDH), peuvent également constituer des risques de persécution au sens large, dès lors qu'ils ont aussi pour origine l'être humain comme auteur potentiel de ces actes, autrement dit comme persécuteur redouté. Quant à la demande visant à être inclus dans le statut de réfugié de son conjoint, père, mère ou exceptionnellement d'un autre proche aux conditions de l'art. 51 LAsi (asile accordé aux familles),  elle est indirectement liée au sérieux préjudice subi ou craint par le parent qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié. Dans cette mesure, elle se rapporte à une persécution étatique ou quasi étatique, autrement dit à un acte préjudiciable émanant d'un homme ou d'un groupe d'hommes dans l'exercice d'une fonction officielle ou d'un pouvoir de fait. Elle doit donc être considérée comme une de­


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mande d'asile au sens de l'art. 18 LAsi, autrement dit comme une demande de protection contre une persécution au sens large (cf. JICRA 2000 n° 27 consid. 4 p. 235s. et 2002 n° 5 consid. 4 p. 41s.).

c) Cette interprétation littérale de la notion de persécution au sens large se vérifie aussi tant d'un point de vue historique que téléologique.

En effet, lors des travaux préliminaires en vue de l'intégration de l'arrêté fédéral urgent sur la procédure d'asile (APA) du 22 juin 1990 dans le droit ordinaire, la nécessité d'élargir le champ d'application de la loi sur l'asile aux "réfugiés de la violence", soit à d'autres personnes à protéger que celles répondant à la définition restrictive de l'art. 3 LAsi, a été reconnue (cf. Message concernant la révision totale de la loi sur l'asile ainsi que la modification de la loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 4 décembre 1995, p. 2 et 10). C'est ainsi qu'à côté de l'asile accordé aux réfugiés qui ont été victimes ou craignent de sérieux préjudices pour l'un des motifs prévus à l'art. 3 LAsi, le législateur a introduit dans la loi sur l'asile du 26 juin 1998 des dispositions sur la protection provisoire (cf. art. 1 let. b, 4 et 66 à 79 LAsi) visant à protéger des personnes "exposées à un danger général grave, notamment pendant une guerre ou une guerre civile ou lors de situations de violence généralisée" (art. 4 LAsi), ou encore en cas de violation systématique et grave des droits de l'homme (cf. message précité,  ad art. 4, p. 43). Cette évolution démontre qu'avec la loi sur l'asile, le législateur a voulu assurer une protection aux personnes fuyant leur pays en raison de dangers pour leur vie ou leur intégrité corporelle causés par l'homme en tant qu'agent de persécution, et non pour protéger des individus contre des périls ou des fléaux ayant d'autres causes.

En outre, les demandes adressées aux autorités suisses par les personnes à protéger au sens des dispositions sur la protection provisoire sont des demandes au sens de l'art. 18 LAsi. Cela ressort expressément du message du Conseil fédéral qui précise ceci : "L'article 18 donne une définition large et générale de la demande d'asile; ainsi, on peut comprendre sous ce terme aussi bien la demande proprement dite en vue de la reconnaissance de la qualité de réfugié que celle, plus modeste, qui vise l'octroi d'une protection provisoire." (cf. idem, ad art. 66, p. 79). Il suit de là que la demande d'asile de l'art. 18 LAsi a non seulement été conçue par le législateur comme une demande de protection contre des persécutions au sens large (ce qui confirme la jurisprudence actuelle de la Commission), mais que cette "persécution", pour reprendre l'expression même de l'art. 18 LAsi, doit émaner de l'être humain car lui seul peut être à l'origine d'une guerre, d'une guerre civile, de situations de violence généralisée ou de violation des droits humains.


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d) Dès lors que les mauvais traitements dans le pays d'origine ou de dernière résidence de l'intéressé, au sens de l'art. 3 CEDH, entrent dans la notion de persécution au sens large, la question se pose de savoir si les cas de maladies graves doivent également être considérés comme telle au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (la CourEDH).

En effet, compte tenu de l'importance fondamentale de l'art. 3 CEDH, la CourEDH a admis que la mise à exécution, par les autorités de l'Etat d'accueil, d'une décision de renvoi d'un étranger gravement malade pouvait, suivant les circonstances, constituer un traitement inhumain contraire à cette disposition (cf. arrêt dans la cause Bensaid c. Royaume-Uni du 6 février 2001, Rec. 2001- I, § 34 ; arrêt dans la cause D. c. Royaume-Uni du 2 mai 1997, Rec. 1997- III, § 49).

Lors de l'examen de l'existence ou non d'une persécution au sens de l'art. 18 LAsi (en rapport avec l'art. 32 al. 1 LAsi) ou d'indices de persécution dans les cas de non-entrée en matière prévus par la loi sur l'asile, la maladie à elle seule, si grave soit-elle, ne saurait justifier un examen matériel de la demande d'asile.

Il faut bien placer les choses dans leur contexte. La question de l'entrée en matière ou non sur une demande d'asile ne doit pas être confondue avec celle de l'exécution du renvoi.

Lors de l'examen des indices de persécution pour savoir s'il y a lieu d'entrer en matière sur une demande d'asile, les autorités suisses procèdent à l'audition du requérant afin d'établir les raisons qui l'ont poussé à quitter son pays. Si celles-ci sont d'ordre médical, il y aura presque toujours lieu de constater qu'elles n'entrent pas dans la définition de la persécution au sens large, car la maladie est une altération dans la santé d'un individu, dont les conséquences préjudiciables sont à rechercher ailleurs que dans un traitement injuste et cruel infligé avec acharnement par un tiers, pour reprendre la définition du terme persécution. Ce n'est qu'exceptionnellement, dans des cas très rares de demandes de protection mettant en cause des personnes atteintes de maladie provoquée intentionnellement à l'étranger par l'homme, ou lorsque celui-ci empêcherait tout traitement médical, causant ainsi une atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique de la personne à protéger, que l'ODR devrait entrer en matière sur une telle demande.

Cela dit, il sied de préciser qu'une décision de non-entrée en matière sur une demande d'asile d'un étranger qui invoque une grave maladie n'implique pas encore la mise en œuvre d'une mesure de renvoi du territoire suisse. La CourEDH ne pourrait donc pas, sur la base d'une telle décision, condamner la Suisse pour violation de l'art. 3 CEDH. Les conséquences juridiques liées à la maladie sont


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examinées dans un deuxième temps, au stade de l'exécution du renvoi, tant sous l'angle de la licéité que de l'exigibilité de celle-ci au sens de l'art. 14a al. 3 et 4 LSEE. S'agissant de la licéité de l'exécution du renvoi, la Commission a eu l'occasion de préciser, dans une jurisprudence récente (cf. JICRA 2001 n° 17 p. 126ss), que les autorités d'asile doivent vérifier, lors de la levée de l'admission provisoire, s'il existe un risque concret de traitement inhumain, contraire à l'art. 3 CEDH, en cas de refoulement d'une personne atteinte dans sa santé physique ou psychique.

En matière d'exigibilité du renvoi, il importe de souligner que le législateur suisse a voulu régler les cas médicaux de requérants d'asile par le biais de l'art. 14a al. 4 LSEE, selon lequel l'exécution du renvoi ne peut notamment pas être raisonnablement exigée si elle implique la mise en danger concrète de l'étranger. Cela ressort du Message du Conseil fédéral à l'appui de l’APA du 25 avril 1990, qui précise que l'art. 14a al. 4 LSEE "concerne également les personnes pour qui le retour dans leur pays équivaudrait à les mettre concrètement en danger car elles ne pourraient, par exemple, plus recevoir les soins médicaux dont elles ont besoin. Pour des motifs humanitaires, et non en raison d'engagements pris par la Suisse, on renonce alors à l'exécution du renvoi. La forme potestative du 4e alinéa confirme qu'il ne s'agit pas d'une obligation découlant du droit international." (FF  1990 II 625).  Le droit suisse dispose donc d'une norme spécifique qui permet à l'autorité de tenir compte de motifs médicaux pour renoncer à l'exécution du renvoi. Dès lors que ces motifs doivent être examinés dans le contexte de l'exécution du renvoi, il n'y a aucune raison de considérer en soi une maladie grave comme un indice de persécution nécessitant qu'il soit entré en matière sur une demande d'asile.

6. Dans le cas particulier, les recourants estiment que, bien qu'ils viennent d'un Etat (la Roumanie) où ils ne risquent pas d'être persécutés (safe country) au sens de l'art. 34 LAsi, l'autorité de première instance aurait dû entrer en matière sur leurs demandes d'asile en raison des problèmes médicaux de leur fils aîné, lesquels constituent, à leurs yeux, un obstacle à l'exigibilité de l'exécution du renvoi de toute la famille et, partant, selon la jurisprudence actuelle de la Commission, un indice de persécution au sens large.  Examiné à la lumière des nouveaux critères dégagés ci-dessus, ce grief doit être rejeté. En effet, l'épilepsie, les troubles visuels et le handicap mental dont souffre l'enfant S. sont des maladies congénitales qui ne sont pas le fait de l'homme mais de causes extérieures sans lien avec une quelconque volonté d'un individu de causer une atteinte à l'intégrité physique ou psychique de l'intéressé. Rien n'indique non plus qu'un accès effectif aux soins disponibles en Roumanie ait été dénié à celui-ci. Les handicaps dont il souffre n'entrent donc pas dans la notion de persécution au sens large de l'art. 34 al. 2 LAsi, telle que précisée plus haut. Dès lors, c'est à


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juste titre que l'ODR n'est pas entré en matière sur les demandes d'asile des époux D. et I. P., qui sont venus en Suisse uniquement dans le but de faire soigner leur fils malade. Dans cette mesure, leurs recours doivent être rejetés.

[...]

8. a) L’exécution du renvoi est ordonnée si elle est licite, raisonnablement exigible et possible (cf. art. 44 al. 2 LAsi). Il peut également être renoncé à l’exécution du renvoi dans les cas de détresse personnelle grave, lorsqu'aucune décision exécutoire n'a été rendue dans les quatre ans qui ont suivi le dépôt de la demande d'asile (cf. art. 44 al. 3 et 4 LAsi et art. 33 OA 1), ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

b) Les recourants n'ont pas remis en cause le caractère licite et possible de l'exécution de leur renvoi et aucun élément de leur dossier ne justifie un examen de ces questions. Ils ont contesté, en revanche, que leur retour en Roumanie ait pu être considéré comme  raisonnablement exigible, vu l'absence dans ce pays de traitements médicaux indispensables à leur fils.

c) Selon l'art. 14a al. 4 LSEE, l'exécution du renvoi ne peut notamment pas être raisonnablement exigée si elle implique une mise en danger concrète de l'étranger. S'agissant des personnes en traitement médical en Suisse, l'exécution du renvoi ne devient inexigible qu'à partir du moment où, en raison de l'absence de possibilités de traitement médical dans leur pays d'origine ou de destination, leur état de santé se dégraderait très rapidement au point de conduire d'une manière certaine à la mise en danger concrète de leur vie ou à une atteinte sérieuse, durable et notablement plus grave de leur intégrité physique (cf. G. Zürcher, Wegweisung und Fremdenpolizeirecht : die verfahrensmässige Behandlung von medizinischen Härtefällen, in : Schweizerisches Institut für Verwaltungskurse, Ausgewählte Fragen des Asylrechts, Lucerne 1992). En revanche, l'art. 14a al. 4 LSEE, disposition exceptionnelle qu'il convient d'interpréter restrictivement, ne saurait servir à faire échec à une décision d'exécution du renvoi au simple motif que l'infrastructure hospitalière et le savoir-faire médical prévalant en Suisse correspondent à un standard élevé non accessible dans le pays d'origine ou le pays tiers de résidence de la personne concernée (cf. JICRA 1993 n° 38 p. 274ss).

d) Dans le cas particulier, le fils aîné des recourants souffre de graves troubles de la vue et d'un handicap mental modéré à sévère. Mais il est surtout atteint d'un syndrome dit de Lennox-Gastaut, autrement dit d'un type d'épilepsie particulier et grave, qui n'a jamais pu être soigné efficacement en Roumanie. En Suisse, le traitement médicamenteux actuellement en phase d'essai comprend un


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médicament spécifique, le Felbamate, qui a permis de diminuer les crises quotidiennes et même, certains jours, d'empêcher toute manifestation épileptique. Si, à la fin d'une période de 12 à 18 mois dès le début du traitement, il est constaté que ce médicament est bien toléré par le patient, il devra lui être prescrit pour une durée indéterminée. Or, bien qu'il soit disponible en Roumanie, les coûts qu'il engendre sont très élevés, puisqu'ils sont de l'ordre de 4000 à 6000 francs par année, sans compter les deux autres médicaments (le Valproate et la Carbamazépine) et les contrôles réguliers indispensables qui seraient probablement à la charge des parents de S. dans leur pays d'origine (cf. rapports médicaux du docteur F. des 15 août 2002 et 15 août 2003). Il sied de relever à ce propos que les recourants ont pratiquement épuisé toutes les ressources à leur disposition pour assurer le financement des traitements médicaux entrepris depuis la naissance de leur enfant handicapé. En outre, comme l'état psychique de S. nécessite une prise en charge en milieu éducatif spécialisé qui n'existe pas, sous une forme adaptée, en Roumanie, l'un de ses parents devrait constamment rester auprès de lui à la maison et ne pourrait pas aller travailler. Faute de ressources financières suffisantes sur le long terme, S. n'aurait pas accès, dans son pays, au seul traitement médicamenteux actuellement efficace pour lutter contre l'épilepsie dont il souffre. En l'absence d'une telle médication, l'épilepsie sévère resterait active; autrement dit, S. serait à nouveau victime, chaque jour ou plusieurs fois par jour, de crises épileptiques caractérisées par des pertes de contact, des chutes brutales, des contractions brusques des quatre membres avec perte de connaissance immédiate ou des "absences" fréquentes.

Dans sa réponse du 7 août 2002, l'autorité de première instance fait valoir à tort que les recourants ont la possibilité de solliciter, conformément aux art. 93 al. 1 let. c LAsi et 75 al. 1 OA 2, une aide individuelle au retour pour assurer la poursuite à l'étranger des traitements médicaux indispensables et particulièrement coûteux. En effet, cette aide est exclue pour les personnes dont la procédure s'est achevée, comme en l'espèce, par une décision de non-entrée en matière en vertu des art. 32 à 34 LAsi (art. 64 al. 1 let. a OA 2). Au demeurant, la limite temporelle de cette aide (six mois avec possibilité de prolongation, cf. art. 75 al. 1 OA 2) exclut une aide à long terme, qui serait pourtant indispensable en l'espèce.

Dans ces circonstances, la Commission considère qu'il existe un risque sérieux de mise en danger de la santé de l'enfant S. en cas de retour en Roumanie. L'exécution de la mesure de renvoi le concernant n'étant pas raisonnablement exigible, il se justifie d'y renoncer et de le mettre au bénéfice de l'admission provisoire.

e) L'art. 44 al. 1 LAsi, qui garantit le respect de l'unité de la famille en matière de renvoi, implique que l'admission provisoire d'un requérant conduise à l'exten­.


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sion de cette mesure aux membres de sa famille (sur la notion de famille : art. 1 let. e OA 1 et JICRA 1996 n° 18 consid. 14c p. 190 et références citées). En l'absence de motifs de nature à justifier une exception à cette règle (cf. notamment art. 14a al. 6 LSEE) dans le cas particulier, les parents D. et I. P. et leur fils cadet J.-D. doivent également être admis provisoirement.

f) Pour ces motifs, les recours sont partiellement admis, en tant qu'ils concluent au prononcé de l'admission provisoire pour inexigibilité de l'exécution du renvoi

 

 

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