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Extraits de la décision de la CRA du 13 décembre 2005, M.C.C., Somalie

Art. 14a al. 4 LSEE : exigibilité de l’exécution du renvoi en Somalie.

1. Analyse de la situation en Somalie (actualisation de l’analyse de situation ; JICRA 1996 n° 18) (consid. 6).

2. La situation chaotique et les incidents violents qui continuent à marquer le centre et le sud de la Somalie s’opposent toujours, de manière générale, à l’exécution du renvoi vers ces régions. L’exécution du renvoi vers le Somaliland et le Puntland peut s’avérer raisonnablement exigible à certaines conditions. Il faut en particulier que la personne ait des liens étroits avec la région et puisse y trouver des moyens de subsistance ou compter sur le soutien effectif d’un réseau clanique ; le seul lien tiré de l’appartenance à une famille clanique principale établie dans la région est insuffisant (consid. 7).

Art. 14 Abs. 4 ANAG: Zumutbarkeit des Wegweisungsvollzugs nach Somalia.

1. Lagebeurteilung in Somalia (Aktualisierung von EMARK 1996 Nr. 18) (Erw. 6).

2. Auf Grund der chaotischen Lage und der andauernden Gewaltsituation in Zentral- und Süd-Somalia erweist sich ein Wegweisungsvollzug in diese Gebiete weiterhin als generell unzumutbar. Demgegenüber kann - unter gewissen Bedingungen - ein Vollzug der Wegweisung nach Somaliland und Puntland erfolgen. Dazu ist erforderlich, dass die betroffene Person enge Verbindungen zur Region hat, sich dort eine Existenzgrundlage aufbauen kann oder mit wirkungsvoller Unterstützung eines Familienclans rechnen darf. Allein die Zugehörigkeit zu einem in der Region ansässigen Hauptclan lässt den Wegweisungsvollzug jedoch nicht als zumutbar erscheinen (Erw. 7).


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Art. 14a cpv. 4 LDDS: esigibilità dell’esecuzione dell’allontanamento verso la Somalia.

1. Analisi della situazione in Somalia (aggiornamento di GICRA 1996 n. 18) (consid. 6).

2. La situazione caotica e i violenti scontri che perdurano nel centro e nel sud del Paese s’oppongono, di principio, alla pronuncia dell’esecuzione dell’allontanamento verso dette regioni. L’esecuzione dell’allonta-namento verso il «Somaliland» ed il «Puntland» può, per contro e a determinate condizioni, essere considerato siccome ragionevolmente esigibile. È tuttavia necessario che la persona in questione possegga degli stretti legami con una delle menzionate regioni e possa provvedere al proprio sostentamento o contare sul sostegno effettivo di un clan; non è sufficiente la sola appartenenza a uno dei clan principali insediati nella regione (consid. 7).

Résumé des faits :

M. C. C. a déposé le 8 avril 2002 une demande d’asile en Suisse. Entendu par l’ODM et l’autorité cantonale compétente, il a déclaré être Somalien, né à Kismayo, appartenir au clan Galjael, famille clanique ou sous-clan Docon Dide (ou Daqun Dide). Le requérant n’a pas déposé de document d’identité. S’agissant de ses motifs d’asile, il a déclaré avoir quitté Kismayo, où il avait laissé ses parents, trois frères et cinq sœurs, à l’âge de treize ou quatorze ans (soit en 1998 ou 1999), avec des amis du même âge, parce qu’il n’y trouvait ni sécurité ni moyens de vivre. Il se serait rendu à Mogadiscio et aurait vécu quelque temps dans cette ville. Ne s’y sentant pas en sécurité en raison de la guerre civile, il serait ensuite parti, toujours avec ces mêmes amis, pour l’Ethiopie. Il aurait vécu un certain temps à Addis Abeba, survivant grâce à l’argent que ses amis recevaient de leur famille, avant de trouver un passeur qui l’aurait conduit jusqu’en Suisse, où il avait l’intention de rejoindre son « frère » A. A., résidant à Genève.

Par décision du 9 janvier 2003, l’ODM a rejeté la demande d’asile de M. C. C., au motif que les faits allégués n’étaient pas déterminants pour la reconnaissance de la qualité de réfugié. Par la même décision, il a prononcé son renvoi de Suisse et ordonné l’exécution de cette mesure, jugée possible, licite, et raisonnablement exigible, compte tenu de la situation dans les deux régions du nord de la Somalie, à savoir au Somaliland et dans l’entité constituée par les trois provinces du nord-est, toutes caractérisées par une relative stabilité et la constitution d’autorités régionales bénéficiant de programmes internationaux d’aide à la re-


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construction et au développement. Il a, en particulier, implicitement considéré que l’intéressé pouvait, en cas d’installation au Somaliland, compter sur le soutien du clan Darod, auquel il appartenait et dont la région d’origine était le Somaliland. Au vu de ces circonstances, il a estimé que le renvoi de l’intéressé au nord de la Somalie, spécialement au Somaliland, était raisonnablement exigible.

M. C. C. a recouru le 6 février 2003 contre cette décision, uniquement en tant qu’elle ordonnait l’exécution de son renvoi. Il a fait valoir qu’il n’était pas originaire du nord de la Somalie, que les Galjael formaient un sous-clan du clan Hawiye, originaire du centre du pays (Mogadiscio), et non des Darod, et que, vu son jeune âge et son manque d’expérience professionnelle, il ne lui serait pas possible de trouver des moyens de subsistance pour assurer sa survie en cas d’installation au nord de la Somalie.

La Commission a admis le recours et invité l’ODM à mettre l’intéressé au bénéfice de l’admission provisoire.

Extraits des considérants :

6.

6.1. Pour procéder à l’analyse de la situation prévalant en Somalie, la Commission s’est basée sur des rapports d’autorités suisses ou d’autres pays (par exemple: Danish Immigration Service, Joint Danish, Finnish, Norwegian and British fact-finding mission to Nairobi, Kenya, 7-21 January 2004, Human rights and security in central and southern Somalia ; id., Report on political, security and human rights developments in southern and central Somalia, including South West State of Somalia and Puntland State of Somalia, 20 May – 1 June 2002 ; United Kingdom Home Office, Somalia country report, avril 2005), sur des analyses de situation émanant d’organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales (par exemple: HCR, UNHCR position on the return of rejected asylum-seekers to Somalia, Genève, janvier 2004 ; Amnesty International, Somalia, urgent need for effective human rights protection under the new transitional government, AI Index AFR 52/001/2005, mars 2005 ; Norwegian Refugee Council, Internally displaced Somalis face uncertain future after years of state collapse, novembre 2004), ainsi que sur d’autres sources, comme des articles de presse ou d’autres informations diffusées par les médias et enfin sur des ouvrages ou articles scientifiques (par exemple: K. Menkhaus, Somalia : die aktuelle Situation und Trendanalyse, Organisation Suisse d’aide aux réfugiés [OSAR], Berne, 20 septembre 2004 ; G. Ambroso, The somali clan system : an introduction to somali society and history, UNHCR sub-office, Dijiga, Ethiopia, 1994).


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6.2. La Somalie, issue des anciennes colonies britannique et italienne, a acquis son indépendance en 1960. Elle est peuplée à 95% de Somali, lesquels se répartissent en six grandes familles claniques, d’importance inégale, dont les territoires débordent des frontières de la Somalie. Ces six grandes familles claniques (Issak, Darod, Hawiye, Dir, Digil et Rahanwein) sont, à leur tour, divisées en un système complexe de clans, sous-clans, et autres lignées ou subdivisions, sans compter les associations et alliances de clans. Parmi les plus importantes familles claniques, les Issak sont établis dans la partie centrale de l’ex-Somaliland britannique ; les Darod, démographiquement les plus nombreux, sont essentiellement présents au nord-est (est du Somaliland, où ils sont représentés par leurs clans Warsangeli et Dulbahante, et Puntland, bastion du clan Majerteen), et au sud de Kismayo ; les Hawiye, presqu’aussi nombreux que les Darod, sont essentiellement présents au centre du pays, y compris la province de Benadir (Mogadiscio).

Après la déclaration d’indépendance, la volonté de trouver un système assurant un équilibre entre les divers clans s’est très vite achoppée à des difficultés insurmontables. En 1969, le général Siad Barré (Darod/Marehan) a pris le pouvoir à la suite d’un putsch militaire, et a tenté d’installer un pouvoir central, fondé sur un système d’alliances claniques de type féodal. Depuis 1988 environ, son pouvoir s’est lentement dégradé. A partir du soulèvement, puis de la destruction de la ville de Hargeisa en 1988, la Somalie a peu à peu versé dans une guerre civile. Cette guerre s’est étendue, en 1990, à l’ensemble du pays. Elle s’est révélée particulièrement longue et violente, et a causé, avec la famine et les maladies, des centaines de milliers de morts et déplacé près de deux millions de personnes. La chute du président Siad Barré, le 27 janvier 1991, avec la prise du palais présidentiel par la famille clanique des Hawiye, n’a pas mis fin aux hostilités, puisque la coalition des mouvements rebelles réunis pour renverser l’ancien dictateur, n’a pas pu, su ou voulu s’entendre sur le partage du pouvoir.

Alors qu’au centre et au sud, les milices, constituées par des factions claniques, s’entre-déchiraient pour la conquête du pouvoir, le nord s’engageait dans une voie différente.

Sous l’égide du Somali National Movement (SNM) créé à Londres en 1981 déjà, la région du nord-ouest, correspondant approximativement aux limites territoriales de l’ancienne Somalie britannique, et peuplée en majorité de membres de familles claniques Issak et Dir, a proclamé, en 1991, sa sécession et son indépendance en tant que « Somaliland » (sur ces points, voir JICRA 1995 n° 25, en particulier consid. 4 p. 239ss, ainsi que consid. 6.4.2. ci-après).


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En 1998, les leaders des districts sis au nord-est du pays (Bari, Nugaal et partie nord du Mudug), régions dominées par le clan Darod/Majerteen, ont à leur tour proclamé, après de longues discussions entre les chefs rivaux des sous-clans Majerteen, l’Etat du Puntland (capitale Garowe), auquel ils ont donné une constitution, et ont désigné comme président à la tête de celui-ci le colonel Abdullahi Yusuf Ahmed (clan Darod/ Majerteen, sous-clan Osman Mohamoud). La situation prévalant dans cette partie du pays, laquelle se veut au contraire du Somaliland autonome et non indépendante, sera examinée de manière plus complète ci-après (cf. consid. 6.4.3.).

6.3. Sur le plan politique, la Somalie a connu plusieurs tentatives de conciliation – et de reconstruction – nationale, visant à rétablir la paix et de nouvelles institutions étatiques, celles ayant prévalu jusqu’à la chute de Siad Barré, en 1991, ayant totalement disparu. Pas moins de douze tentatives ont échoué.

En 2000, une treizième conférence de paix sur la Somalie, tenue à Arta (Djibouti), a donné naissance à l’Assemblée nationale de transition, laquelle a élu un Gouvernement national de transition (GNT), avec siège à Mogadiscio. Le GNT a reçu le mandat de rédiger une constitution et d’organiser des élections nationales, le tout avant l’échéance d’un délai de trois ans ; il n’a cependant réussi à établir un contrôle de fait que sur un quartier de Mogadiscio, et n’est donc pas parvenu à mettre en place une institution nationale, que ce soit en matière de justice, d’armée ou de police.

La quatorzième conférence de réconciliation somalienne a débuté ses travaux le 15 octobre 2002 au Kenya, sous l’égide de l’Autorité intergouvernementale pour le développement, une organisation des Etats de la Corne de l’Afrique. Elle devait se dérouler en trois phases, et comportait des objectifs ambitieux : la signature d’un cessez-le-feu, la conclusion d’un accord sur une Charte de base pour le pays, des solutions de reconstruction et enfin la création d’un nouveau gouvernement de transition, remplaçant le GNT. Les délégués à cette conférence ont été nommés sur la base de critères visant à une représentation respectueuse des clans (nombre égal pour les quatre familles claniques principales y participant – les trois nomades, Darod, Dir et Hawiye, et celle des Digil-Mirifle, ou Rahanwein – et la moitié de ce nombre pour l’ensemble des autres familles claniques minoritaires). Un cessez-le-feu a été signé, le 27 octobre 2002, mais n’a pas été concrétisé sur le terrain : de nombreux combats ont encore eu lieu depuis lors dans plusieurs régions, spécialement du centre et du sud. En février 2004, une Charte fédérale de transition a été adoptée, qui prévoit l’instauration d’un gouvernement fédéral, d’un parlement fédéral de transition ainsi que d’assemblées et administrations décentralisées (régionales). Le parlement transitoire, mis en place en août 2004, est composé de 275 parlementaires nommés suivant les


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mêmes critères de répartition entre clans que ceux adoptés pour la composition des membres de la conférence, critères qui devraient également déterminer les principales nominations au gouvernement. Le 15 septembre 2004, Shariff Hassan Sheik Adan, un homme d’affaires influent, a été élu président de l’Assemblée nationale. Le parlement a élu en octobre 2004, à la présidence du Gouvernement fédéral transitoire (GFT), Abdullahi Yusuf Ahmed, président du Puntland (cf. consid. 6.2. ci-dessus). Celui-ci a désigné, en novembre 2004, un premier ministre issu de la famille clanique Hawiye, Ali Mohammed Gedi, lequel, destitué puis renommé, a constitué son gouvernement en procédant à une répartition des postes de ministres entre les clans. Les nouvelles institutions somaliennes ont longtemps siégé à Nairobi, où elles avaient été mises en place. Malgré l’insistance de la communauté internationale à encourager leur retour au pays, les nouveaux acteurs de la politique somalienne n’ont trouvé aucun accord sur le lieu d’implantation de la nouvelle capitale. Le président Abdullahi Yusuf, qui s’est fait de nombreux ennemis, ne dispose pratiquement d’aucun soutien à Mogadiscio, où la situation est encore très instable, voire violente, suivant les quartiers ; il a, par conséquent, porté son choix sur Baidoia, mais a, par la suite, au mois de juillet 2005, installé son gouvernement, pour des raisons de sécurité, à Jowhar, tout en s’entourant d’une armée formée de miliciens entraînés en Ethiopie (Agence France Presse, 11 octobre 2005). L’influent président du parlement, Shariff Hassan Sheik Adan, a fait savoir qu’il tenait à ce que Mogadiscio, capitale historique du pays, le reste ; des membres importants du gouvernement ont partagé cette position. Ce déchirement a fait réapparaître la menace d’un nouveau conflit militaire et a gêné également les efforts de restauration d’une puissance publique en Somalie. Les Nations Unies ont dépêché, en août 2005, un émissaire en Somalie afin de faciliter un arrangement entre les deux parties. Le 6 novembre 2005, le premier ministre Ali Mohamed Gedi a été victime d’un attentat, dont il est sorti indemne, alors qu’il effectuait une visite à Mogadiscio. Ce nouvel événement renforce les inquiétudes quant à la fragilité des institutions mises en place, et aux risques d’une extension et d’une aggravation des violences et de l’insécurité sévissant au centre et au sud du pays (cf. consid. 6.4.1.).

Le gouvernement national du Somaliland n’a pas participé à cette conférence au Kenya, ni reconnu les résultats de celle-ci. De même, il a contesté la légitimité du « northern Dir clan », un groupe ayant prétendu le représenter lors de ces pourparlers.

En définitive, la Somalie se trouve aujourd’hui théoriquement dotée d’in-stitutions nationales transitoires, représentatives de toutes les familles claniques dominantes du pays (à l’exception notable des Issak). Cependant, le rétablissement en Somalie d’autorités centrales disposant d’un pouvoir de fait sur


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l’ensemble du pays, et, en particulier, sur la vingtaine de seigneurs de guerre (qui ont participé à la quatorzième conférence) et leurs milices privées, et la fin de l’instabilité politique, sont loin d’être acquises avec un gouvernement temporaire qui devra se faire accepter par la population, avec les nouvelles fractions nées des divergences sur le choix de la capitale, et enfin avec la question non réglée du Somaliland (cf. UNHCR Advisory on the Return of Somali Nationals to Somalia, novembre 2005).

6.4. Sur le plan sécuritaire, l’absence prolongée de gouvernement central en Somalie ne signifie toutefois pas qu’il n’y a pas eu, sur place, une amélioration de la situation depuis la fin des années nonante. La Somalie s’est, dans les faits, trouvée durant ces dernières années et se trouve, aujourd’hui encore, divisée en deux grandes zones principales, d’une part le nord, constitué par le Puntland et le Somaliland, et d’autre part le centre et le sud du pays.

6.4.1. Pour pratiquement tous les observateurs, la région du centre et du sud de la Somalie, à savoir la partie du pays se trouvant au sud de la ville de Galkayo, est encore et toujours, de manière générale, caractérisée par des violences et une situation très médiocre sur le plan de la sécurité (cf. notamment K. Menkhaus, Somalia : die aktuelle Situation und Trendanalyse, OSAR, Berne, 20 septembre 2004 p. 12s. ; Danish Immigration Service, Joint Danish, Finnish, Norwegian and British fact-finding mission to Nairobi, Kenya, 7-21 January 2004, Human rights and security in central and southern Somalia, p. 11ss ; Amnesty International, rapports 2005 et 2004). La plupart du temps, l’accord de cessez-le-feu signé en octobre 2002 (cf. consid. 6.3.) y est resté sans effet. Les affrontements se poursuivent avec plus ou moins d’intensité selon les régions, voire selon les quartiers dans grandes agglomérations, avec des périodes d’accalmie ou de recrudescence, au gré des réaménagements des alliances, et en fonction des zones contrôlées par les factions, des micro-conflits locaux (en fort accroissement), et de l’influence d’intervenants extérieurs, dont l’Ethiopie. Dans ces régions du centre et du sud du pays, l’absence durable d’institutions étatiques et le climat d’impunité qui a pu en résulter, a eu pour conséquence que de nombreux actes contraires aux droits de l’homme ont dû être constatés, qu’il s’agisse de meurtres, d’enlèvements à des fins de rançon, de rapts en vue de viols, de pillages, et d’autres actes de banditisme, spécialement sur des personnes non armées, appartenant à des minorités, non membres de la faction clanique contrôlant, par milice interposée, le terrain. Enfin, les Nations Unies ont également condamné les nombreux enrôlements forcés d’enfants dans les milices.

6.4.2. La situation sécuritaire se présente de manière différente dans le nord de la Somalie, à savoir au Somaliland, ainsi qu’au Puntland, pour des raisons liées notamment au développement politique de ces régions.


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Le Somaliland, après des premières années difficiles, a progressivement développé ses institutions sous la conduite du président Mohamed Ibrahim Egal (clan Issak/Habr Awal). Le 31 mai 2001, ses autorités ont soumis au suffrage populaire, par voie de référendum, un projet de nouvelle Constitution proclamant l’indépendance de la « République du Somaliland ». Le résultat officiel – critiqué par de nombreux observateurs qui ont estimé que le score était trop élevé pour consacrer un scrutin démocratique – a été de 97% des votants en faveur de la Constitution. Cette charte fondamentale consacre, en outre, sur le plan de l’organisation politique, le principe de l’abandon du système des clans au profit du multipartisme. Le Somaliland présente depuis lors une forme républicaine de gouvernement. L’Assemblée législative est composée de deux chambres : la chambre élue des anciens, et une chambre des représentants. A la tête du gouvernement, se trouvent le président et le vice-président élus avec un mandat de cinq ans.

Le président Mohamed Egal, qui dirigeait le pays depuis 1993, est décédé en mai 2002. Il a été immédiatement remplacé par son vice-président, Dahir Rayale Kahin, non issu de la famille clanique majoritaire Isaak. Le processus de démocratisation du Somaliland a continué en 2002 et 2003 avec la tenue des élections locales et présidentielles. Ces dernières ont eu lieu le 14 avril 2003. Le président Dahir Rayale Kahin (du parti de l’Union des démocrates - UDUB) a été élu à l’issue d’un scrutin controversé qui a contribué à diviser la population et à semer des doutes sur la maturité des institutions démocratiques. Les élections parlementaires ont eu lieu en octobre 2005. Elles ont été remportées par le parti au pouvoir.

Le Somaliland aspire depuis quatorze ans à une reconnaissance au niveau international, mais n’a encore été reconnu par aucun Etat membre des Nations Unies. Isolé, privé d’aide extérieure, il est parvenu à maintenir une paix relative et une certaine stabilité. Pourtant, l’assassinat de plusieurs travailleurs humanitaires, le 6 octobre 2003 à Borama, deux semaines plus tard à Sheykh et le 19 mars 2004 à Berbera, ainsi que des actes de harcèlement et d’extorsion envers des personnes déplacées, ont amené certains acteurs et observateurs internationaux, à s’interroger sur la capacité de ses autorités à gouverner autant que sur la profondeur de la paix sociale.

6.4.3. Contrairement au Somaliland, le Puntland n'a pas fait sécession. Même si elles n’ont pas participé à la Conférence de paix de Dijbouti de 2000 (voir ci-dessus, consid. 6.3.) et se sont opposées au gouvernement national de transition qui en était issu, les autorités de cette région n’ont jamais exclu, par principe, la reconstitution d’un Etat fédéral somalien : elles se sont bornées à revendiquer l’autonomie de leur entité au sein de la Somalie.


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Après une longue période de paix, la région du Puntland a connu une crise politique et militaire en 2001, lorsque le président Abdullahi Yusuf refusa d’organiser les élections parlementaires et présidentielles, et chercha à prolonger son mandat initial de trois ans. Durant l’année 2002, cette région est demeurée divisée, et a été marquée par de périodiques confrontations armées entre les forces militaires de Abdullahi Yusuf et celles de son rival Jamai Ali Jama. En mai 2003, un accord de paix a été signé, l’opposition se voyant accorder une certaine place dans le gouvernement. En octobre 2004, Abdullahi Yusuf a été élu président de la Somalie à la Conférence de paix du Kenya (cf ci-dessus consid. 6.3.). Il a été remplacé à la tête du Puntland, d’abord par Mohamed Abdi Hashi, puis, après l’élection présidentielle du 8 janvier 2005, par Mohamed Muse Hirsi Adde. Autour de sa capitale « économique », Bossaso, le Puntland a connu une paix presque complète jusqu’à la crise de 2001. Il semble avoir retrouvé son calme après l’accord conclu entre Abdullahi Yusuf et Ali Jama. Cependant, un conflit non résolu l’oppose à son voisin le Somaliland.

Depuis 2001 en effet, les relations entre le Somaliland et le Puntland connaissent des tensions. Chacune de ces deux entités a revendiqué la souveraineté sur deux régions frontalières, à savoir les zones orientales de Sool et de Sanaag. Les prétentions du Somaliland se sont appuyées sur le respect des frontières coloniales au moment de l’indépendance, alors que le Puntland a réclamé ces terres parce qu’elles sont peuplées de communautés Warsangeli, Dulbahante issues de la famille clanique des Darod. Des périodes d’accalmie relative et d’autres caractérisées par de violents combats se sont succédé ; depuis la nomination de Abdullahi Yusuf à la fonction de président du gouvernement fédéral transitoire, la situation est devenue, à nouveau, très tendue et volatile.

6.5. Sur le plan socio-économique, il faut rappeler que la Somalie est l’un des pays les plus pauvres et les moins développés de la planète, miné par la guerre civile, la maladie, la famine et la sécheresse. Si l’on considère l’ensemble de la Somalie, le taux de mortalité infantile est proche de 25%, l’espérance de vie est en moyenne de 47 ans. Près de 80% de la population n’a pas accès à l’eau potable. Le taux d’analphabétisation chez les adultes de plus de quinze ans avoisine 80% (cf. HCR, UNHCR position on the return of rejected asylum-seekers to Somalia, Genève, janvier 2004). L’exode rural, ajouté aux mouvements des déplacés, a conduit à un accroissement important de population dans les villes comme Hargeisa, Bosaso, Galkayo ou Mogadiscio, à la capacité d’absorption limitée. Dans ces grandes agglomérations, et face à l’absence de toute forme d’assistance publique, une grande partie de la population et en particulier les nouveaux arrivés, sont dépendants du soutien de leurs proches, notamment de ceux qui se trouvent à l’étranger. Les camps de réfugiés et les bidonvilles qui se sont développés à l’abord de ces grandes agglomérations sont privés de toute in-


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frastructure ; en outre, il est quasi impossible de trouver du travail et donc des moyens d’existence essentiels.

Cela dit, il est clair que le niveau de développement varie fortement, surtout suivant les régions géographiques, la densité de la population (zones urbaines ou rurales), et les groupes sociaux ; le développement se trouve naturellement freiné dans les régions instables du centre et du sud du pays, où une grande partie de la population s’est retrouvée victime de pillages, voire contrainte à la fuite. Dans ces régions, et notamment à Mogadiscio, on peut cependant constater une notable divergence entre la situation socio-économique et la situation humanitaire. En effet, de nombreux opulents hommes d’affaires du pays vivent à Mogadiscio ; cependant, c’est là également que l’on trouve, dans les bidonvilles comme dans les campagnes environnantes, les plus forts taux de dénutrition et de misère (cf. K. Menkhaus, Somalia : die aktuelle Situation und Trendanalyse, OSAR, Berne, 20 septembre 2004, p. 24).

Le Somaliland, quant à lui, a connu, entre 1990 et 2000, une croissance économique relativement constante. Il pâtit néanmoins, spécialement sur ce plan, de la non-reconnaissance internationale qui l’empêche de conclure des contrats d’investissement avec l’étranger. En outre, sa population rurale (formée d’agriculteurs et d’éleveurs) a énormément souffert durant les dernières années, de l’interdiction d’exporter des ovins et des camélidés vers l’Arabie Saoudite (décrétée par ce pays depuis l’apparition de la « fièvre de la vallée du Rift » en 2000), et de quatre années de sécheresse qui ont poussé des milliers de personnes à se déplacer vers les villes.

L’économie du Puntland, quant à elle, tourne essentiellement autour du port de Bosaso, véritable capitale économique de la région ; l’essor des activités d’import-export et des activités commerciales qui y sont liées ont attiré de nombreux déplacés ; ceux-ci sont en grande partie venus agrandir les bidonvilles, où ils ont été rejoints par les populations paysannes fuyant la sécheresse (cf. K. Menkhaus, Somalia : die aktuelle Situation und Trendanalyse, OSAR, Berne, 20 septembre 2004).

7.

7.1. Au vu de ce qui précède, la Commission estime que la situation chaotique et les incidents violents qui continuent à marquer la situation dans le centre et le sud de la Somalie s’opposent toujours, de manière générale, à l’exécution du renvoi de ressortissants somaliens vers ces régions. En revanche, les progrès constatés, notamment en matière de stabilité des institutions et de sécurité, au


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nord du pays, formé par le Somaliland et le Puntland, justifient une modification de la jurisprudence publiée à ce jour (cf. consid. 5.3.1 ).

7.2. L’exécution du renvoi de ressortissants somaliens vers le Somaliland et le Puntland peut, selon les cas, s’avérer raisonnablement exigible, sous réserve de certaines conditions, explicitées ci-après.

7.2.1. Tout d’abord, au vu de la situation humanitaire et de l’absence d’infrastructures sociales caractérisant également les régions du nord, l’exécution du renvoi de Suisse sera, en principe, considérée comme inexigible pour toutes les personnes vulnérables, telles que malades, femmes seules, mineurs non accompagnés et personnes âgées, en l’absence de garanties concrètes d’une protection et d’un soutien adéquats dès l’arrivée sur place.

7.2.2. Pour les autres catégories de personnes, il convient d’examiner, dans chaque cas individuel, le lieu de leur naissance et de leurs domiciles et activités successifs, le lieu d’établissement non pas uniquement de la grande famille clanique dont elles peuvent se réclamer, mais bien du sous-clan, voire de la lignée à laquelle elles appartiennent (cf. consid. 6.2. in initio), les données socio-économiques générales prévalant dans la région où un retour est envisagé, et les possibilités concrètes qu’elles auront d’y trouver les moyens de subsistance.

Pratiquement, seules des personnes « originaires » du Somaliland et du Puntland seront à même de s’y assurer des bases d’existence (cf. HCR, UNHCR position on the return of rejected asylum-seekers to Somalia, Geneve, janvier 2004). S’agissant de l’origine d’une personne, il convient de garder en vue que nombre de familles ont été déplacées du fait de la guerre civile et que le lieu de naissance d’un individu ou la région dans laquelle il a vécu avant son départ du pays ne coïncident pas forcément avec le lieu dont il convient de considérer qu’il provient, dans le sens qu’il y a ses racines. Il y a lieu également de tenir compte du fait qu’il ne suffit pas de se réclamer d’une des grandes familles claniques présentes dans la région (par exemple des Darod au Puntland), les règles de solidarité et de reconnaissance ne pouvant à l’évidence s’étendre à des communautés aussi importantes. Le fait d’être membre d’une même grande famille clanique, voire d’un même clan, selon leur importance, n’entraîne pas nécessairement des droits ou obligations de solidarité. Ces droits sont en principe issus de « contrats » entre différentes lignées, souvent au sein d’un même clan ou sous-clan, comme les « diya paying group », reliant traditionnellement, le plus souvent au sein d’un même clan, les personnes qui s’engagent à payer une compen-

 

 

1 Le consid. 5.3. non publié se réfère à JICRA 1997 n° 24 p. 189ss, spéc. consid. 7a p 193;
  1996 n° 18, spéc. consid. 16c p. 192; 1995 n° 25 [n.d.l.r.]


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sation de réparation en cas de crime grave, ou moins grave (« jiffo paying group »). Traditionnellement, ces groupes, comprenant plusieurs centaines, voire milliers de personnes constituaient également des organisations importantes, sur le plan social et économique, à côté d’institutions étatiques (cf. www.country-studies.com/somalia/samaal.html, consulté le 26 octobre 2005).

7.2.3. Il importe de relever à cet égard que le Somaliland, avec son indépendance auto-proclamée, considère comme des étrangers les personnes qui ne sont pas des « somalilanders », autrement dit les personnes dont les origines ne les rattachent pas à cette entité, au contraire de ceux qui appartiennent aux familles claniques et clans dits indigènes (K. Menkhaus, Somalia, a situation analysis and trend assessment, UNHCR writenet paper, août 2003, p. 27). Le Somaliland est peuplé, à son extrême nord-ouest, de clans Dir (Dir/Issa, dans la région proche de Djibouti, et Dir Gadabursi, à l’est des précédents). Dans la région centrale, on trouve essentiellement des Issak, une des principales familles claniques de Somalie (cf. consid. 6.2. ci-dessus) ; ils occupent en particulier la région comprenant les localités de Berbera et Hargeisa (Issak/Abr Awal), ainsi que les territoires sis à l’est de ces villes (Issak/ Habr Yunis ; Issak/ Aidagalla). On trouve enfin dans les zones septentrionales du Sool et du Sanaag, revendiquées également par le Puntland (cf. consid. 6.5.3. i.f. ci-dessus) des membres de la famille clanique Darod : Darod/Warsangeli et Darod/Dulbahante. Compte tenu de la situation socio-économique du Somaliland, les personnes sans liens avec la région ou avec les clans et sous-clans qui y sont établis, auront à faire face à de sérieux problèmes d’acceptation et d’intégration, susceptibles de mettre leur survie en danger. Selon un décret d’octobre 2003, les immigrants illégaux sont même menacés de déportation (cf. Norwegian Refugee Council, Internally displaced Somalis face uncertain future after years of state collapse, 24 novembre 2004).

7.2.4. Au Puntland, habité essentiellement par les Darod/Majerteen et à l’est par les Darod/Dulbahante et Darod/Warsangeli, la situation est institutionnellement différente. Le Puntland se considère comme formant une entité autonome au sein de la Somalie et les Somaliens originaires d’autres régions sont, d’après la nouvelle Charte constitutionnelle de l’Etat, en principe libres de s’y établir, et d’y exercer des activités notamment commerciales. Cependant, on ne saurait occulter le fait qu’à l’instar du Somaliland, la région a accueilli de nombreux déplacés fuyant les régions de guerre ; sa capacité d’absorption est épuisée. Ainsi, en l’absence du soutien et de la protection de membres de son clan, un Somalien provenant d’une autre région est exposé à un sérieux risque de se retrouver sans possibilités de survie, à défaut de capacités professionnelles particulières ou d’autres ressources (cf. HCR, UNHCR position on the return of rejected asylum-seekers to Somalia, Genève, janvier 2004).


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7.2.5. Ainsi, quelle que soit la région du nord de la Somalie entrant en considération pour le retour au pays (Somaliland ou Puntland), il convient pour apprécier l’exigibilité de l’exécution du renvoi de procéder dans chaque cas à une appréciation individualisée qui prenne en considération les circonstances personnelles, à savoir, notamment l’âge, le sexe, l’état de santé, l’appartenance clanique, la région d’origine, la situation familiale et les chances d’obtention d’une protection clanique ainsi que d’un soutien socio-économique en cas de retour.

8.

En ce qui concerne la situation personnelle du recourant, la Commission retient ce qui suit :

8.1. M. C. C. appartient, si l’on se réfère à ses déclarations, au clan Galjael et sa famille vivait à Kismayo. Ces allégations ne sont pas prouvées. Toutefois, l’ODM n’a pas mis en doute ses déclarations sur ce point et les rares éléments au dossier, notamment les clans cités comme présents dans la région ne sont pas contredites par les informations à disposition de la Commission, plusieurs clans cités étant, en tout état de cause, présents dans la région de Kismayo. La Commission relève encore que le recourant a indiqué avoir un frère en Suisse, A.A. […]. Bien que les liens de parenté entre ces deux personnes ne soient pas établis par pièce, la filiation, comme les indications portant sur leur appartenance clanique et leur naissance à Kismayo concordent. Dans ces conditions, la Commission n’a pas à mettre en doute les déclarations de l’intéressé sur ces points.

8.2. Dans sa décision, l’ODM a relevé que l’intéressé appartenait au clan Darod et que le nord-ouest de la Somalie (République du Somaliland) était la région d’origine de ce clan. Dans son mémoire, le recourant conteste cette affirmation, et soutient que le clan Galjael est de souche Hawiye et non Darod. Cette information concorde avec les sources de la Commission, et l’autorité de première instance n’a, dans sa réponse au recours, du 26 février 2002, fourni aucune explication concernant la motivation de sa décision sur ce point, de nature à contredire, ou tout au moins à mettre sérieusement en doute, cet argument de l’intéressé.

8.3. A cela s’ajoute que, comme précisé plus haut, la présence, dans une partie déterminée, de la grande famille clanique de laquelle peut se réclamer un Somalien ne constitue, de manière générale, pas un élément permettant en soi de conclure à la réalisation des conditions d’exigibilité de l’exécution du renvoi. Encore faut-il pour cela que l’intéressé dispose de liens plus étroits avec la région et qu’il puisse compter sur la présence de personnes prêtes à lui assurer une protection, ainsi qu’une aide matérielle, ou alors qu’il bénéficie, de par sa formation ou son expérience personnelle, ou pour d’autres motifs, d’un profil parti-


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culier censé démontrer son aptitude à trouver des moyens de survie dans la région considérée.

Tel n’est pas le cas en l’occurrence. Le recourant ne présente aucun lien, ni par son appartenance clanique, ni par son vécu, avec le nord du pays, qu’il s’agisse du Somaliland ou du Puntland, étant précisé que les régions traditionnelles de peuplement des Galjael sont sises dans le centre et le sud du pays. Un renvoi vers le centre ou le sud du pays, singulièrement les régions d’origine de son clan ou de Kismayo où vivraient ses proches, ne peut être tenu, actuellement, comme raisonnablement exigible.

9.

Au vu de ce qui précède, le recours doit être admis et la décision attaquée annulée en tant qu’elle ordonne l’exécution du renvoi de l’intéressé. L'ODM est dès lors invité à prononcer l'admission provisoire de M. C. C..

 

 

 

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