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Extraits de la décision de la CRA du 25 février 2003, D. K., Bosnie et Herzégovine

Art. 3 LAsi : discrimination ethnique durant le service militaire considérée comme persécution ; lien de causalité temporelle.

1. L'astreinte au service militaire devient illégitime et constitue donc une persécution si elle implique des mesures de discrimination systématiques et gravement inhumaines (consid. 6).

2. On ne saurait, d'une manière générale, opposer aux Bosniaques ayant fui leur pays avant la fin de la guerre civile ni une possibilité de refuge interne ni non plus une rupture du lien de causalité temporelle si, avant leur départ, ils ont séjourné quelque temps dans une autre région que celle où ils ont été persécutés (précision de jurisprudence, JICRA 2000 n° 2, p. 23, consid. 9a in fine; cf. JICRA 1999 n° 7, consid. 4b, p. 45s) (consid. 7).

Art. 3 AsylG: Ethnische Diskriminierung im Militärdienst als Verfolgung; zeitlicher Kausalzusammenhang.

1. Die Pflicht zur Leistung des Militärdienstes wird dann illegitim - und stellt damit eine asylrelevante Verfolgung dar -, wenn damit systematisch diskriminierende und besonders unmenschliche Massnahmen verbunden sind (Erw. 6).

2. Hat sich der Verfolgte vor der Ausreise in einem anderen Teil Bosniens aufgehalten, welcher mangels effektivem Schutz bis zum Ende des Bürgerkriegs nicht als interne Fluchtalternative gelten konnte, kann dieser Aufenthalt auch keine Unterbrechung des zeitlichen Kausalzusammenhangs zwischen Verfolgung und Ausreise darstellen (Erw. 7; Präzisierung der Rechtsprechung, EMARK 2000 Nr. 2, S. 23, Erw. 9a in fine; vgl. EMARK 1999 Nr. 7, Erw. 4b, S. 45 f.).


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Art. 3 LAsi: discriminazione etnica durante il servizio militare quale persecuzione; nesso temporale.

1. L'obbligo di prestare servizio militare diviene illegittimo, e costitutivo di una persecuzione, se implica l'esposizione a misure di discriminazione sistematiche e particolarmente inumane (consid. 6).

2. Ai cittadini bosniaci che sono fuggiti dalla loro regione prima della fine della guerra non è possibile opporre, di norma, né una possibilità di rifugio interna né l'interruzione del nesso temporale per avere soggiornato qualche tempo, prima dell'espatrio, in un'altra regione che quella in cui furono perseguitati (precisazione della giurisprudenza GICRA 2000 n. 2 pag. 23, consid. 9a in fine; v. GICRA 1999 n. 7, consid. 4b pag. 45 seg.) (consid. 7).

Résumé des faits :

Serbe orthodoxe ayant toujours habité à Sarajevo d'où il est originaire, le requérant a épousé S. S. en 1988, elle-même étant d'ethnie et de religion musulmanes. Début avril 1992, lorsque la guerre a éclaté, celle-ci a quitté le quartier serbe de X. pour rejoindre un quartier musulman de Sarajevo, avant de gagner la Suisse. A ce moment, seuls les femmes et les enfants étaient autorisés à sortir de Sarajevo, encerclée par les troupes d'obédience serbe. En mai 1992, le requérant aurait été invité à intégrer les rangs de l'armée de l'entité serbe de Bosnie et Herzégovine. Il aurait alors quitté son domicile pour s'installer dans le quartier musulman de la ville, marquant ainsi son opposition à la politique de Milosevic. Peu après, il aurait été licencié en raison de son origine ethnique. En juin 1992, malgré un problème de santé avéré, il aurait été mobilisé dans la nouvelle armée bosniaque. Jusqu'à fin février 1994, il aurait été incorporé dans une brigade constitué à 99 % de Musulmans. Etant serbe, il aurait été considéré comme un ennemi potentiel et continuellement contrôlé et menacé dans sa vie et son intégrité physique par notamment par les autorités militaires. Toutefois, vu la dégradation de son état de santé physique, la commission médicale de son unité l'aurait libéré des obligations militaires en février 1995. Le 25 mars 1995, muni de documents appropriés, il a franchi les différents postes de contrôle gouvernementaux et a quitté légalement son pays.

Le 18 juillet 1995, l'ODR a rejeté la demande d'asile de l'intéressé, au motif que ce qu'il avait subi, y compris dans le cadre de son service militaire, s'inscrivait dans le contexte d'une guerre civile et ne représentait pas des mesures de persécution spécifiquement dirigées contre lui par les autorités bosniaques. Il l'a ce-


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pendant mis au bénéfice d'une admission provisoire collective, en application de l'Arrêté du Conseil fédéral du 21 avril 1993.

D. K. a interjeté recours contre cette décision. Il a exposé que ses cousins, portant le même nom que sa mère […], avaient commis, dès le début de la guerre, des crimes terrifiants sur la population musulmane qui s'était réfugiée à Sarajevo. En raison de ses liens de parenté avec des nationalistes serbes actifs dans les rangs des Tchetniks, D. K. aurait été victime d'un licenciement immédiat. Cette mesure, ayant été rendue publique par l'affichage d'une liste des "traîtres et autres collaborateurs" serbes licenciés, aurait nourri les ressentiments et velléités de vengeance à son endroit de nombreux Musulmans, y compris de ses voisins. Peu après son entrée en service, en juin 1992, l'intéressé aurait été interrogé par la police de l'armée bosniaque sur ses relations avec son frère et ses cousins, à la suite de témoignages certaines de leurs victimes. Il aurait été régulièrement soumis à des interrogatoires parce qu'il était suspecté d'espionnage et d'autres menées subversives pour le compte des Serbes. Il aurait été interdit de port d'arme, utilisé comme cible humaine et systématiquement sous-alimenté. De novembre 1992 à février 1994, il aurait été, à de nombreuses reprises, envoyé sur le front et exposé à des missions particulièrement dangereuses. Il aurait même essuyé des tirs de soldats de sa propre unité, en particulier d'un musulman, M. C., ancien habitant de Pale chassé par les Serbes, qui aurait tenté de le tuer, sous prétexte qu'il avait appartenu à la famille des Serbes qui avaient pillé sa maison. Ses problèmes de santé s'étant aggravés, le recourant a été déclaré partiellement inapte au service au printemps 1993 et affecté, à l'arrière, à des travaux mieux adaptés à son état de santé. Cependant, parce qu'il n'avait pas rejoint son unité à plusieurs reprises, la police militaire l'aurait soumis à un régime de prisonnier, supprimant tous ses congés et l'affectant à des travaux forcés continus. En février 1994, il aurait été démobilisé après l'arrêt des combats à Sarajevo. En octobre 1994, à la suite de la reprise des pilonnages de la ville de Sarajevo, par l'artillerie serbe des militaires bosniaques l'auraient interrogé sur les raisons de sa présence dans cette ville et l'aurait contraint sous la menace à se réenrôler. C'est alors qu'il a quitté le pays.

Le 9 septembre 1997, l'ODR a reconsidéré partiellement sa décision du 18 juillet 1995 et mis le recourant au bénéfice d'une admission provisoire, à titre individuel, considérant l'exécution de son renvoi comme illicite.

Le recourant a produit diverses publications parues à Sarajevo qui présentent des membres de sa famille comme auteurs d'atrocités durant la guerre. Il a également fourni des extraits d'un journal qui citent des criminels de guerre bosniaques dont le recourant a subi les persécutions, et qui auraient agi avec l'accord du président bosniaque Izetbegovic. Certains d'entre eux seraient toujours en li-


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berté, à Sarajevo. Le recourant a soutenu qu'il demeurait exposé à un sérieux danger, en cas de retour, tant en raison de sa parenté avec des criminels de guerre serbes que des soupçons pesant sur lui d'avoir appartenu à un réseau d'espionnage serbe au sein de l'armée bosniaque.

La Commission a admis le recours.

Extraits des considérants :

5. Avant d'aborder l'examen du cas d'espèce, la Commission estime nécessaire de rappeler le contexte dans lequel les événements vécus par le recourant a eu lieu.

Avant 1992, Sarajevo était une communauté multiethnique florissante et un centre économique et culturel de l’ex-Yougoslavie. Le recensement de 1991 indiquait que la ville et ses alentours immédiats comptaient 525'980 habitants, dont 49,3 % de Musulmans, 29,9 % de Serbes, 6,6 % de Croates, 10,7 % de personnes se présentant comme Yougoslaves (sans appartenance ethnique particulière) et 3,5 % déclarant une appartenance à d’autres groupes ethniques. Peu après la reconnaissance internationale de la Bosnie et Herzégovine comme Etat indépendant le 6 avril 1992, des affrontements armés ont éclaté à Sarajevo. Le 8 avril 1992, l'état d'urgence a été proclamé dans la capitale. Avant même le début du conflit, des forces armées soutenant le Parti démocratique serbe (SDS) et des éléments de l’armée populaire yougoslave (JNA) ont occupé des positions stratégiques dans Sarajevo et ses alentours. A partir de ces positions, aidées par les milices politico-mafieuses serbes (notamment les Volontaires serbes de Zeljko Raznajatovic, dit Arkan, et le Mouvement tchetnik de Vojislav Seselj), ces troupes, réunies plus tard au sein de la nouvelle armée serbe de Bosnie, ont soumis la ville à un blocus, et dès le 2 mai 1992 et jusqu'à la fin de la guerre, à des tirs embusqués incessants, voire à des pilonnages. Vers le 20 mai 1992, après un retrait partiel de Bosnie des forces de la JNA, le 2e District militaire de la JNA a été, de fait, intégré à l’armée serbe de Bosnie (VRS - "Vojska Republika Srpska"). En octobre 1992, les forces serbes ont créé un "Sarajevo serbe" regroupant les quartiers serbes de la ville (notamment Grbavica) et les faubourgs de Pale, Novo Sarajevo, Vogosca, encerclant la capitale bosniaque. Durant quarante-quatre mois, le "Corps Romanija" de Sarajevo a appliqué une stratégie militaire combinant tireurs embusqués et bombardements d'artillerie pour tuer, mutiler, blesser et terroriser la population civile de Sarajevo (cf. Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, acte d'accusation contre Stanislav Galic et Dragomir Milosevic du 24 avril 1998 […]).


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En face, les Bosniaques, emmenés par leur président Alija Izetbegovic, ont tardé à réagir d'une manière unitaire. La Défense territoriale, qu'ils ont levée dès les premières heures du siège de la capitale n'avait, en septembre 1992, réussi à armer que 5'000 hommes. D'autres brigades armées, appelées également "bandes de quartier" à Sarajevo, se sont ainsi chargées de la première réaction militaire effective. Les "Bérets verts", lancés par la Ligue patriotique - une organisation clandestine bosniaque chargée d'infiltrer la police et la Défense territoriale yougoslaves et de constituer des milices dans toute la Bosnie - formaient à Sarajevo la milice la plus puissante durant les premiers mois. Dirigée par "Juka", alias Jusuf Prazina, les Bérêts verts contrôlaient une partie de la ville et réunissaient 4'000 hommes. Les milices sandjakoises, qualifiées de milices néo-urbaines, sous la direction de leur commandant Musan Topalovic – dit Caco – contrôlaient, quant à elles, les quartiers du centre et des collines. Etablissant des systèmes miliciens de prédation et de terreur dans la ville, elles ont vite pris le pas sur les Bérêts verts et leur chef Juka. Ces unités d'origine en partie politico-mafieuses, ainsi que les corps de police qui n'ont pas rejoint Karadzic, comptèrent parmi les combattants de la première heure à Sarajevo (Raufer/Haut, Le Chaos balkanique, Paris 1992, p. 64 ; X. Bougarel, Bosnie, anatomie d'un conflit, Paris 1996, p. 101ss). Ces différentes milices musulmanes, qui agissaient librement et anarchiquement, s'affrontant souvent entre elles, ont exercé de facto la force publique sur le territoire de la ville, même si, depuis juin 1992, toutes les formations armées de Bosnie et Herzégovine, musulmanes ou croates, ont été placées en théorie sous commandement unique et incorporées dans l'armée bosniaque ("Armija"). La constitution de cette armée dans l'urgence et dans une désorganisation totale au départ explique en partie cet état de fait. Certains spécialistes de la question soutiennent que cette anarchie a été entretenue sciemment par les autorités politiques elle-mêmes, dans la mesure où la dispersion et la désorganisation de ces troupes favorisaient le contournement ou le détournement de leur structure de commandement par des réseaux informels, de nature partisane et clanique (notamment X. Bougarel, op. cit., p. 110). Toutes ces factions intégrées par la suite à l'"Armija" officielle bosniaque, de gré ou de force, ont d'ailleurs gardé une certaine autonomie d'action à Sarajevo durant tout le conflit bosniaque.

Du 20 août 1992 jusqu'à l'automne 1995, les Bosniaques ont tenté, mais sans succès, de briser le siège de Sarajevo en montant offensives sur offensives. Toutes ont échoué devant l'artillerie lourde de l'armée serbe. Le 30 juin 1995 encore, les Serbes ont envoyé des obus sur Sarajevo (Le Monde, 30 juin 1995), tandis que le 25 juillet 1995, des troupes de la FORPRONU se sont déployées dans la ville pour réagir contre les meurtres de deux casques bleus (Le Monde, 25 juillet 1995).


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6. a) En l'occurrence, s'agissant des mesures auxquelles le recourant a été astreint, de la mi-juin 1992 à février 1994 (exception faite de la période correspondant à son congé de quelques mois au printemps 1993, pour raisons médicales), au sein du premier corps de la 2e Brigade de montagne, intégrée dans la Défense territoriale bosniaque, puis dès juillet 1992 dans la nouvelle armée bosniaque ("Armija"), la Commission observe ce qui suit :

D. K. a été mobilisé et incorporé dans la Défense territoriale bosniaque, puis l'armée bosniaque à l'instar de tous les ressortissants du nouvel Etat résidant dans la ville de Sarajevo, de sexe masculin et en âge de combattre. En revanche, il est également patent qu'en raison de son ethnie serbe et de son appartenance à une famille de nationalistes, voire de criminels de guerre serbes, il n'a pas été intégré à la 2e Brigade comme un combattant (par définition armé, équipé, vêtu et nourri pour l'attaque ou la défense), mais comme un prisonnier corvéable à merci, portant comme tous les autres Serbes une tenue différente pour qu'il puisse être reconnu immédiatement comme un être inférieur, dont la vie et l'intégrité physique n'avait, aux yeux de ses chefs et de ses compagnons militaires d'ethnie musulmane, que la valeur attribuée aux missions qu'il était capable d'accomplir au péril de sa vie et de sa santé. Le fait que les chefs de la 2e Brigade épargnaient à leurs soldats musulmans l'accomplissement de telles missions sur les lignes de front est un autre indice concret et tangible de leur haut degré de risque pour la vie de ceux, d'ethnie serbe, qui y étaient astreints par les menaces systématiques et répétitives de leurs chefs et compagnons musulmans. Ainsi, le recourant a-t-il été systématiquement utilisé pour creuser des tranchées sur le front des combats afin de permettre l'avancée de la 2e Brigade. Sans arme, moins bien nourri et vêtu que les militaires musulmans, lui et d'autres compagnons d'infortune d'ethnie serbe, étaient envoyés, sous la menace de leurs "gardiens" armés qui pointaient constamment leurs fusils sur eux, à quelques encâblures des lignes serbes afin de réaliser leur suicidaire besogne, essuyant les tirs tant des ennemis que de leurs propres "camarades". De nombreux Serbes n'y ont pas survécu et ont péri sous les yeux du recourant dans d'atroces souffrances. Le recourant a également été employé à d'autres travaux, que l'on peut de la même manière qualifier de "forcés", puisqu'il a dû notamment transporter des charges considérables jusqu'à l'épuisement sous le tunnel de l'aéroport, malgré sa grande taille et ses problèmes de dos.

Dans ces conditions, et vu le climat de haine, de chasse et d'appel au meurtre de Serbes, qui sévissait à Sarajevo et était alimenté par les tirs d'éléments serbes embusqués ("snipers"), les pilonnages de l'artillerie serbe contre la population civile et enfin les méthodes d'épuration ethnique d'une extrême violence pratiquées par l'armée serbe et surtout les milices paramilitaires, il est parfaitement compréhensible que l'intéressé n'ait eu d'autre choix que d'essayer de survivre en


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accomplissant, bon gré mal gré, les missions qui lui étaient dévolues notamment en matière de transport, de ravitaillement et de creusement de tranchées, tout en étant confronté à un cortège d'horreurs, de souffrances, et de peurs paniques.

b) Les mesures auxquelles le recourant a été soumis dans le cadre de ses missions à la 2e Brigade dépassent largement, dans leur intensité, celles qui d'ordinaire entraînent une pression psychique insupportable au sens de l'art. 3 al. 2 LAsi. Il s'agit d'atteintes caractérisées à sa liberté, ainsi qu'à son intégrité physique et psychique ; en outre, elles ont eu pour résultat, voire pour but, une mise en danger grave de sa vie. Etant donné qu'elles lui ont été infligées de manière systématique et répétée, non seulement en fonction de besoins tactiques (au demeurant dénués de toute légitimité et proportionnalité), mais aussi aux fins de l'intimider et de le punir de ses appartenances ethnique et familiale (dans le sens clanique du terme), ces mesures s'apparentent à une forme de torture […]. Il n'est guère concevable que les supérieurs militaires du recourant n'aient pas envisagé ni même eu connaissance des souffrances physiques et psychiques aiguës qu'ils lui causaient ainsi par un cumul de mesures discriminatoires, gravement inhumaines, voire ignobles et cruelles, sur des périodes relativement longues, de nature à conduire à un épuisement physique et une destruction psychique complets. En aucun cas, on ne saurait admettre ici l'argument de l'ODR relatif à la légitimité de principe d'une obligation de servir (cf. pour la distinction entre légitimité et illégitimité d'une obligation légale d'accomplir le service militaire, JICRA 2002 n° 19), étant donné que les travaux qui ont été exigés de la part de l'intéressé n'étaient pas tous d'un caractère purement militaire, qu'ils ne correspondaient pas non plus à des obligations civiques (ou de protection civile) normales pour une situation de guerre dès lors qu'elles ne répondaient pas à un consensus social et non discriminatoire, et enfin que certains d'entre eux avaient été ordonnés en violation de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, du 12 août 1949 (en particulier de son art. 12). A cela s'ajoute le fait que l'intéressé a été contraint de participer d'un point de vue logistique directement aux hostilités (ravitaillement des premières ligne de front, creusement de tranchées devant les premières lignes) visant à la conquête et à l'épuration ethnique d'un territoire où vivaient de nombreux membres de sa famille, dont sa mère, tout en étant privé du droit élémentaire attribué à chaque combattant d'être nanti au moins d'une arme de poing pour sa défense personnelle. Pire, l'intéressé a servi de bouclier civil lors d'attaques serbes et, à de nombreuses reprises, a été victime de menaces de représailles pour les crimes commis par ses cousins de la part de ses propres compagnons de brigade ; les tirs bosniaques dirigés contre son dos, qu'il a dû essuyer, peuvent d'ailleurs être qualifiés de quasi-simulacres d'exécution. A aucun moment, et en dépit de ces actes délibérés de vengeance auquel il a réchappé, le recourant n'a bénéficié d'aucune intervention de son commandement,


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que ce soit sous forme de sanction ou d'ordre, visant au respect, par ses compagnons, des principes élémentaires de la discipline militaire, d'une abstention de toute hostilité et d'un traitement humanitaire conforme au droit de la guerre à l'endroit du recourant. Ces mesures et omissions coupables, causées en particulier par la haine et l'esprit de vengeance contre les attaques des troupes serbes concentrées autour de Sarajevo, leurs propres violations du droit de la guerre et les crimes contre l'humanité que celles-ci ont commis à l'endroit de civils musulmans, ne constituent pas pour autant des conséquences "normales" d'une situation de guerre civile, dont le recourant aurait pâti à l'instar de tout autre ressortissant bosniaque, comme l'a estimé à tort l'autorité inférieure.

c) Il ressort de ce qui précède que contrairement à l'avis défendu par l'ODR le recourant peut valablement se prévaloir d'avoir subi, entre 1992 et 1994, de sérieux préjudices, conformes à l'art. 3 LAsi, pour des raisons liées à sa nationalité (ethnie), de la part des autorités militaires bosniaques, donc d'un agent de persécution étatique.

7. a) Dans la mesure où la Commission a exclu toute possibilité effective de refuge interne pour les ressortissants bosniaques déplacés en zone croato-musulmane durant le conflit et ayant quitté leur pays avant la signature de l'Accord-cadre de Dayton du 14 décembre 1995 (cf. JICRA 2000 n° 2 consid. 9a p. 23), il n'y a plus lieu d'examiner si la qualité de réfugié au moment de leur départ de Bosnie et Herzégovine peut leur être déniée en raison d'une éventuelle rupture du lien de causalité temporelle (cf. JICRA 2000 n° 2 p. 23).

b) Cette jurisprudence s'applique a fortiori au recourant, dans la mesure où il n'a pas trouvé, à cause de son ethnie serbe, une sécurité même relative dans la zone croato-musulmane, mais y a été, au contraire, persécuté. Par ailleurs, force est d'admettre, au vu de la situation existant dans la zone assiégée de Sarajevo, que le recourant était totalement empêché de fuir en sécurité plus tôt de la ville où il était « de facto » prisonnier. Un passage à travers les lignes serbes qui encerclaient Sarajevo ne pouvait être raisonnablement attendu de la part du requérant, étant donné son insoumission aux autorités militaires serbes et son engagement – considéré comme une trahison – dans les troupes bosniaques ainsi que les menaces proférées à son encontre par sa propre famille. L'unique possibilité de fuite pour lui consistait à gagner la Croatie, par les zones tenues en Bosnie et Herzégovine par les forces musulmanes et croates, nouvellement alliées, ce qu'il n'a pu faire qu'au printemps 1995.

c) Vu ce qui précède, l’autorité de céans arrive à la conclusion qu’au moment de son départ en Suisse, D. K. satisfaisait entièrement aux exigences légales posées pour la reconnaissance de la qualité de réfugié.


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8. a) Les réfugiés qui ont fui une persécution déjà subie sont en règle générale présumés avoir une crainte fondée d'y être encore exposés à l'avenir (W. Kälin, Grundriss des Asylverfahrens, Bâle/Francfort-sur-le-Main 1990, p. 127). Le requérant, en sus de ses persécutions passées, fait valoir une crainte, toujours actuelle, de subir de sérieux préjudices de la part des autorités serbes de Bosnie et Herzégovine en raison de son mariage avec une Musulmane, de son insoumission au commencement de la guerre civile, de sa mobilisation dans les troupes bosniaques de 1992 à 1994, et enfin de son absence de réponse à la convocation de l'armée serbe de Bosnie du 21 février 1997. Il invoque sa crainte d'être également exposé à des mesures analogues de la part des autorités bosniaques, en raison de son origine serbe et surtout de ses liens familiaux avec des cousins serbes criminels de guerre. Il affirme ne pouvoir ni rentrer à Sarajevo, en zone bosniaque (musulmane), ni retourner dans l'entité serbe.

b) La situation actuelle en Bosnie et Herzégovine a objectivement changé (pour plus de détails à ce propos, voir p.ex. JICRA 2000 n° 2 p. 19ss et 1999 n° 8, p. 50ss). Les autorités de la République serbe de Bosnie, comme celles de la Fédération croato-musulmane ont adopté des lois d'amnistie dont l'application semble être, en règle générale, garantie (JICRA 2001 no 15 p. 115ss). Partant, la jurisprudence de la Commission retient qu'il n'existe en principe plus de risque qu'une personne ayant commis des actes tombant dans le champ d'application des lois d'amnistie soit poursuivie et condamnée pour l'un des motifs découlant de l'art. 3 LAsi par les autorités de l'une ou l'autre entité bosniaque. Toutefois, en présence de facteurs particulièrement aggravants, comme par exemple le fait pour une personne d'avoir combattu durant une longue période dans une armée majoritairement formée d'une ethnie adverse, un tel risque ne saurait être d'emblée exclu (ibidem, consid. 8 dc, p. 119).

c) En l'occurrence, la Commission ne saurait exclure qu'en cas de retour dans la République serbe de Bosnie le recourant soit en butte à des discriminations, voire à des actes de vengeance en raison de son engagement durant la guerre civile - considéré comme une trahison par les siens - aux côtés des forces bosniaques. La question peut rester toutefois indécise, car un retour du recourant dans la Fédération croato-musulmane, spécialement à Sarajevo, apparaît exempt de tout risque concret et imminent d'atteinte à sa liberté, son intégrité corporelle et sa vie. […]

NdR : Bien qu'elle ait admis l'existence d'un changement objectif de circonstances en Bosnie et Herzégovine, la Commission a estimé que D. K. devait se voir reconnaître la qualité de réfugié motif pris de raisons impérieuses exclusivement liées à des persécutions passées.

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