1998 / 16  - 137

previous next

b) Le 6 avril 1994, en effet, l'avion dans lequel se trouvait le président rwandais, Juvénal Habyarimana, avec son collègue burundais, a été abattu. Cet attentat, dont les responsables n'ont jamais été identifiés avec certitude, a été imputé par les courants les plus radicaux de la communauté hutu et du Mouvement révolutionnaire national pour le développement (MRND), l'ancien parti unique, au Mouvement patriotique rwandais (MPR), l'opposition armée dominée par les Tutsis, et généralement à toute la communauté tutsi. Il y a, en fait, de bonnes raisons de penser que la mort du président Habyarimana devait être imputée à ces éléments radicaux, qui se refusaient à admettre, comme le prévoyaient les accords signés à Arusha (4 août 1993), un partage du pouvoir avec l'opposition. Quoi qu'il en soit, l'attentat a servi de prétexte au déclenchement d'une vague de massacres sans précédent, d'évidence soigneusement préparée, contre toute la communauté tutsi. Menés pour l'essentiel par les milices du MRND (les "interhamwe") et la Garde présidentielle, et avec le concours spontané d'un grand nombre de Hutus et la pleine approbation du nouveau gouvernement, ces massacres ont eu lieu dans des conditions de barbarie sans exemple. Commencés dès le 6 avril, ils se sont poursuivis pendant environ trois mois, et ont fait, selon les estimations les plus généralement admises, de cinq cent mille à un million de morts (cf. B. Lugan, Histoire du Rwanda de la Préhistoire à nos jours, Lyon 1997, p. 516ss). Des centaines de milliers de Tutsis se sont alors réfugiés dans les pays voisins, principalement la Tanzanie. Dès le début de cette vague de tueries, le FPR a entrepris, à partir de la frontière ougandaise, la conquête militaire du Rwanda, s'emparant de la capitale, Kigali, au début de juillet 1994 ; le mois suivant, il avait le contrôle de tout le pays.

Comme le reconnaît implicitement l'ODR dans la décision attaquée, il est donc clair que les Tutsis, durant cette période [avril-juillet 1994] ont fait l'objet d'une persécution collective, dans le sens où leur seule appartenance ethnique suffisait à mettre en danger, de manière concrète et probable, leur vie ou leur intégrité corporelle (cf. JICRA 1997 no 14, consid. 4d ee, p. 115-116 ; 1996 no 21, p. 208 ss). Cette persécution était d'origine étatique, soit que les autorités aient exécuté elles-mêmes les massacres, soit qu'elles aient favorisé l'action ou laissé sciemment toute latitude dans ce sens à des milices ou à d'autres groupements plus ou moins privés, alors qu'elles auraient eu les moyens de les prévenir, dans une certaine mesure tout au moins. Elle ne laissait de plus aucune possibilité de refuge interne aux personnes visées, tout le territoire rwandais ayant été touché par les tueries. Il s'agissait donc bien, en l'espèce, d'une tentative de génocide, au sens déterminé par la Convention