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Extraits de la décision de la CRA du 8 janvier 2003, B.F.M., Angola

Art. 32 al. 2 let. b LAsi et art. 1 let. a OA 1 : non-entrée en matière sur une demande d’asile pour tromperie sur l’identité ; dissimulation de la nationalité.

Si une analyse Lingua ne permet pas d’exclure sans équivoque que le recourant provient du pays dont il dit avoir la nationalité, on ne peut imputer à celui-ci une tromperie sur l’identité (cas de "Regressado" : Angolais de retour au pays après un long exil en République démocratique du Congo) (consid. 5b).

Art. 32 Abs. 2 Bst. b AsylG und Art. 1 Bst. a AsylV 1: Nichteintreten auf ein Asylgesuch infolge Täuschung über die Identität ; Verheimlichung der Nationalität.

Kann auf Grund einer Lingua-Analyse nicht eindeutig ausgeschlossen werden, dass der Gesuchsteller aus dem Land stammt, dessen Nationalität er angibt, kann ihm keine Täuschung über die Identität angelastet werden (Fall eines angolanischen "Regressado", der sich während Jahren in der Demokratischen Republik Kongo aufgehalten hat) (Erw. 5b).

Art. 32 cpv. 2 lett. b LAsi e art. 1 lett. a OAsi 1: non entrata nel merito della domanda d'asilo per inganno sull'identità (in casu sulla cittadinanza).

Allorquando un esame Lingua non permette d’escludere inequivocabilmente che il richiedente l'asilo provenga dal Paese di cui sostiene di possedere la cittadinanza, non è data la possibilità di concludere ad un inganno sull'identità (caso di un "Regressado" angolano che ha vissuto per molti anni nella Repubblica democratica del Congo) (consid. 5b).
 

Résumé des faits :

B.F.M. a déposé une demande d’asile en Suisse le 11 janvier 1999. Il a déclaré être de nationalité angolaise, d’ethnie mukongo et être né le 24 février 1968 à Maquela de Zombo, dans la province d’Uige. Il a remis aux autorités un certificat de naissance délivré à Luanda, en date du 19 mai 1993. De langue maternelle kikongo, il parlerait un peu le lingala et le portugais. Il a accepté d’être interrogé en français lors des auditions. En 1974, il aurait gagné la ville de Matadi,


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en République démocratique du Congo (RDC), où il aurait vécu jusqu’en 1989. A son retour en Angola, il se serait installé à Luanda. A partir de 1992, il aurait effectué plusieurs séjours d’un mois à une année dans la province de Lunda Norte. A la fin de l’année 1996, il se serait à nouveau établi dans la capitale angolaise. Le 27 novembre 1998, des voisins membres du MPLA l’auraient dénoncé aux services de sécurité à cause de son statut de "Regressado" et de ses activités pour l’UNITA. Arrêté deux jours plus tard, il aurait été emprisonné environ un mois. Il se serait évadé grâce à l’aide d’un gardien. Le 6 janvier 1999, il aurait quitté l’Angola.

Le 25 mai 1999, l’intéressé a été soumis à un examen linguistique et de provenance (dit analyse Lingua). Selon le rapport établi le 15 juin 1999 par un premier spécialiste, il n'aurait jamais été socialisé en Angola. Le seul pays qu’il connaîtrait serait la RDC et plus particulièrement la ville de Matadi. Le 13 juillet 1999, le requérant a contesté le contenu de ce rapport.

Par décision du 11 août 1999, l'ODR, estimant que B.F.M. l’avait trompé sur son identité, n’est pas entré en matière sur la demande d’asile, a ordonné le renvoi du requérant de Suisse ainsi que l’exécution de cette mesure. Il a prononcé la confiscation du certificat de naissance qu’il a qualifié de faux document.

B.F.M. a interjeté recours contre cette décision, par acte du 14 septembre 1999. Afin d’établir sa nationalité angolaise, il a produit une attestation délivrée par le président du comité exécutif de l’Association des Angolais, en date du 8 septembre 1999. Il en ressort notamment que la connaissance écrite ou orale du portugais ne permet pas, à elle seule, de déterminer qui est ou non angolais.

Le 23 février 2000, le recourant a été soumis à une seconde analyse Lingua effectuée par un nouvel expert. Celui-ci confirme que le sujet a été socialisé principalement en RDC. Il ajoute ne pas exclure que le recourant ait séjourné un certain temps en Angola, principalement à Luanda.

La CRA a annulé la décision attaquée et a renvoyé l’affaire à l’ODR.

Extraits des considérants :

4. a) Aux termes de l'art. 32 al. 2 let. b LAsi, remplaçant l’art. 16 al. 1 let. b aLAsi, il n'est pas entré en matière sur une demande d’asile si le requérant a trompé les autorités sur son identité, le dol étant constaté sur la base de l’examen dactyloscopique ou d’autres moyens de preuve.


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b) Par identité, on entend : les noms, prénoms et nationalités, l'ethnie, la date et le lieu de naissance, ainsi que le sexe (art. 1 let. a OA 1).

c) L'intention subjective d'un requérant d'induire en erreur les autorités sur son identité n'a plus à être prouvée en dépit du terme "dol" utilisé dans la version française du texte légal actuel. La seule constatation de l'identité multiple suffit pour conclure à la tromperie (voir à ce propos JICRA 2001 n° 27 consid. 5e bb 1ère phr. p. 209 et le Message du 4 décembre 1995 concernant la révision totale de la loi sur l’asile, FF 1996 II 56).

d) La preuve de la tromperie sur l'identité peut être apportée non seulement par le biais d'un examen dactyloscopique (relevé des empreintes digitales et photographie), mais également par des témoignages concordants ou d'autres méthodes, telles les analyses scientifiques de provenance conduites par les services Lingua de l'ODR (JICRA 1999 n° 19 consid. 3d p. 126).

e) La Commission s'est déjà prononcée sur les procédés appliqués par le groupe Lingua spécialisé à l'ODR pour déterminer le pays d’origine d'un requérant sur la base de données linguistiques. Elle a retenu que les analyses effectuées selon cette méthode avaient, en règle générale, valeur de simple avis de partie soumis à la libre appréciation de l'autorité. Elle a précisé toutefois qu'une valeur probante plus élevée pouvait leur être reconnue, lorsqu'elles émanaient d'une personne particulièrement qualifiée présentant au surplus des garanties suffisantes d'indépendance, lorsque le principe de l'immédiateté des preuves avait été respecté, que le moyen utilisé était réellement propre à dégager une nationalité déterminée et que finalement les motifs et conclusions de l'analyste étaient contenus dans un rapport écrit au même titre que les indications relatives à sa personne (sur l’ensemble de ces questions, voir JICRA 1998 n° 34 consid. 6 à 8 p. 285ss).

f) Il convient donc d’examiner si les rapports d’analyse Lingua des 15 juin 1999 et 8 mars 2000 permettent de déterminer sans équivoque que le recourant ne provient pas d'Angola et qu’il a ainsi trompé les autorités sur son identité, comme l’a affirmé l’ODR dans sa décision de non-entrée en matière du 11 août 1999.

5. a) Contrairement au point de vue soutenu par l’intéressé dans son écriture du 29 février 2000, l’autorité de céans ne voit pas de raison de mettre en cause l’impartialité ou les compétences du spécialiste X pour le motif que celui-ci aurait constaté à tort que le recourant ne parlait pas le portugais. Le rapport d’analyse du 15 juin 1999 sera donc pris en considération dans le cadre de l'application du cas d'espèce. Cela dit, il sied de relever que l'analyste


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Lingua Y. a interrogé le recourant sur divers sujets, comme la religion, les repas, l’habillement, et la vie quotidienne en général, qui n’avaient pas été abordés par le spécialiste Lingua X. Le contenu du rapport d’analyse du 8 mars 2000 révèle en outre un interrogatoire plus exhaustif et systématique que celui mené par l’analyste X. Dès lors, et conformément aux principes dégagés plus haut (cf. consid. 4e ci-dessus), la Commission estime que le second rapport d’analyse du 8 mars 2000 revêt une valeur probante supérieure et, partant, un plus grand poids dans son appréciation, que le premier rapport d'analyse du 15 juin 1999.

b) Lors de son audition sur ses motifs d’asile, B.F.M. a notamment affirmé avoir vécu à Matadi entre 1974 et 1989 et y avoir accompli douze ans d'études primaires puis secondaires. Ces allégués concordent avec les conclusions des deux rapports d’analyse Lingua attestant la socialisation du sujet à Matadi ainsi que ses bonnes connaissances de ce lieu et, plus généralement, de la République démocratique du Congo. Par ailleurs, les observations des deux spécialistes Lingua semblent plutôt confirmer l'appartenance à l'ethnie mukongo de B.F.M. et sa naissance à Maquela de Zombo, telles qu’alléguées au CERA. En effet, l’analyste X. précise que les Bazombo, pluriel du terme Muzombo utilisé par l’intéressé, sont les habitants bakongo du district de Maquela de Zombo faisant partie de l’ethnie mukongo. Dans son rapport du 8 mars 2000, l‘analyste Y. relève pour sa part que les indications sur l'usage de la dot livrées par l’intéressé sont exactes et qu'elles sont valables pour un grand nombre de lieux concernant l’ethnie mukongo. Ces deux spécialistes confirment également que la langue maternelle du recourant est bien le kikongo (même s'il s’agit du dialecte "ya leta" parlé à Matadi).

Il y a également lieu de constater l’exactitude des indications fournies par B.F.M. concernant divers quartiers "regressados" et quelques marchés populaires de Luanda, mais aussi au sujet de la religion, de l’habillement, des repas ainsi que d'autres aspects importants de la vie quotidienne en Angola comme ceux portant sur la production locale de bière et de cigarettes. En outre, le recourant a donné des indications précises quant aux lieux et aux objets en rapport avec ses activités commerciales ou à celles liées au contexte des "Zaïrenses" ou "Regressados". On ne saurait au surplus ignorer que le deuxième spécialiste Lingua a, dans ses conclusions, dit clairement ne pas exclure un séjour d’une certaine durée de l'intéressé à Luanda. Certes, le spécialiste X. a de son côté conclu à la méconnaissance totale de l’Angola de la part du sujet. Cette conclusion est quelque peu hâtive. En effet, lors de la première analyse Lingua, le recourant n'a pas été questionné sur des aspects centraux de la réalité angolaise comme la religion, les repas, l’habillement et la vie quotidienne en général (cf. consid. 5a ci-dessus). Lorsque ces aspects ont été abordés lors de


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l'analyse complémentaire du 23 février 2002, l’intéressé a, dans l’ensemble, livré des indications relativement détaillées et correctes.

Les deux spécialistes Lingua ont, il est vrai, souligné que l'intéressé ne savait pas le portugais, respectivement qu'il avait de la peine à s’exprimer dans cette langue, et que ces lacunes étaient peu compatibles avec le séjour allégué de huit à dix ans à Luanda. Dans sa décision publiée le 27 mars 1996 sous JICRA 1996 n°20 (cf. consid. 8d p. 205), relative à l’exigibilité de l’exécution du renvoi des ressortissants angolais, la Commission a toutefois relevé que "les ressortissants zaïrois d'Angola, les Angolais rentrés du Zaïre et les Bakongo (pluriel de Mukongo) originaires du nord-ouest - désignés tour à tour sous le vocable infamant de "Zaïrenses"-, ne maîtrisant ou ne connaissant guère le portugais, et vivant traditionnellement du commerce, trouvaient à Luanda, dans les quartiers habités par plusieurs centaines de milliers de membres de leurs groupes ethniques des conditions de vie comparables, parfois même supérieures, à celles de la population majoritairement mbundu de la capitale". De plus, si l’on prend en considération ses séjours allégués d’un mois à une année entre 1992 et la fin 1996 dans la province de Lunda Norte, B.F.M. a, depuis son retour en Angola, vécu à Luanda durant une période notablement plus courte que celle retenue par les analystes Lingua (huit à dix ans). Compte tenu de la situation exposée dans la jurisprudence susmentionnée et desdits séjours dans une province frontalière peuplée essentiellement de locuteurs kikongos, il apparaît concevable que le recourant n'ait pas eu l'occasion de parler fréquemment le portugais dans le cadre de ses activités commerciales et/ou sociales exercées durant les dix années précédant son départ vers l’Europe. Dès lors, ses difficultés, voire son incapacité de s'exprimer dans cette langue, au demeurant contestées par l'intéressé, ne sont pas décisives en l'espèce. Cela dit, les expressions mixtes franco-portugaises relevées dans le rapport d’analyse du 8 mars 2000 laissent plutôt supposer que le recourant a vécu dans le contexte général qui régnait à Luanda entre 1989 et 1999 (cf. à ce propos JICRA 1996 n°20 précitée).

Dans leurs rapports des 15 juin 1999 et 8 mars 2000, les spécialistes Lingua ont conclu que B.F.M. avait été socialisé à Matadi, autrement dit que c'est dans cette ville qu'il avait développé (de manière prépondérante) ses rapports sociaux. Cette conclusion n'autorise pas à déduire que le recourant n'est pas angolais. En effet, un individu peut fort bien être né et avoir la nationalité d'un Etat, mais avoir vécu la majeure partie de sa vie dans un autre Etat avec lequel il a des liens plus étroits. Dans le cas particulier, l’intéressé a vécu à Matadi depuis l'âge de six ans jusqu'à sa 21e année. Jusqu'à son départ pour l'Europe en 1999, il a passé le reste de son temps en Angola où il est né. On ne saurait, dès lors, exclure qu'il puisse être de nationalité angolaise. Ne pas admettre cette hypothèse reviendrait à dénier la nationalité angolaise aux nombreux "Regressados" qui, après avoir


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habité durant une partie importante de leur vie au Congo ou dans un autre Etat, sont retournés dans leur pays d’origine, l'Angola.

Dans son appréciation d’ensemble, la Commission n’ignore bien sûr pas qu’au moment de la seconde analyse Lingua, postérieure de près de six mois à la décision attaquée, B.F.M. a pu se procurer des renseignements qui lui ont peut-être permis de répondre de manière plus complète aux questions posées, ce qu’il semble, du reste, partiellement admettre. Elle prend également en considération les indications lacunaires et parfois erronées du recourant sur plusieurs aspects importants de la réalité angolaise tels que l’institution du mariage, la géographie angolaise, le kwanza reajustado, voire les itinéraires empruntés pour arriver dans la capitale puis la quitter en 1992. Aux yeux de l’autorité de céans toutefois, ces éléments, mis en balance avec les constatations opérées plus haut concernant l'ethnie mukongo et la langue kikongo de l’intéressé (parlée par près d’un dixième des Angolais), mais aussi avec son statut allégué de "Regressado" et ses connaissances convenables de divers aspects de la réalité angolaise (cf. consid. 5b, 2ème par. ci-dessus), ne permettent pas d’établir avec un degré de certitude suffisant que B.F.M. n’est pas de nationalité angolaise.

Quant aux falsifications du certificat de naissance du 23 mai 1993, dûment constatées par l’ODR, elles ne prouvent pas à satisfaction de droit que son titulaire aurait menti sur son identité, l’intéressé pouvant fort bien porter ses patronymes actuels et être né le 24 février 1968, comme il l’a indiqué aux autorités. Cela dit, la fourniture d’un faux document d’identité est, à certaines conditions, susceptible de constituer une violation de l’obligation de collaborer selon l’art. 8 LAsi dont il pourra, cas échéant, être tenu compte dans l’examen au fond de la haute probabilité (au sens de l’art. 7 LAsi) des allégués de l’intéressé. Dans le même ordre d'idées, les invraisemblances des déclarations du recourant sur l’histoire de l’Angola et la situation politique de ce pays en 1992, retenues à son détriment par les spécialistes Lingua, peuvent très bien être le fait de ressortissants angolais et se révèlent par conséquent de peu d'utilité pour déterminer la nationalité de B.F.M.. En revanche, elles pourront, cas échéant, à nouveau être discutées dans l’examen au fond de la vraisemblance des motifs d’asile invoqués.

c) En définitive, la Commission considère, au vu de ce qui précède, que les deux rapports d’analyse des 15 juin 1999 et 8 mars 2000 ne permettent pas de déterminer sans équivoque que le recourant ne provient pas d’Angola et qu’il a ainsi trompé les autorités sur son identité. A défaut d’autres moyens de preuve au sens de l’art. 32 al. 2 let. b LAsi, les conditions d’application de cette disposition ne sont pas remplies en l’espèce.

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